Le Temps

Aller au stade pour perpétuer la mémoire des clubs

- LUCIO BIZZINI, ANCIEN FOOTBALLEU­R, DOCTEUR EN PSYCHOLOGI­E ET PSYCHOTHÉR­APEUTE

Assister à un derby Servette-Sion après en avoir joué une quinzaine entre 1975 et 1982 est une expérience particuliè­re. A l’époque, la présence de nombreux joueurs valaisans dans les rangs servettien­s (et la réciproque parfois aussi) exacerbait une saine rivalité sportive. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais ce derby romand reste particuliè­rement senti par les deux équipes, comme j’ai pu m’en rendre compte le 20 mars dernier au stade de la Praille.

Nous les anciens du SFC, toutes génération­s confondues, étions invités au match par le Groupement des anciens du Servette FC pour fêter les 132 ans du club, devant presque 10 000 spectateur­s. Le stade de la Praille est beau quand il est ainsi garni et il justifie pleinement son sauvetage. Tous les fans de football réclament d’ailleurs la finition des travaux à l’intérieur d’un complexe qui n’est pas, et de loin, achevé. C’est trop tard pour les rencontres internatio­nales prévues en juin mais ce bel ouvrage mérite des finitions à la hauteur…

Inspecter la pelouse, vieux réflexe

Avant le match, nous avons été invités sur la pelouse pour la rituelle photo, juste devant le kop des Ultras grenats. Réflexe d’ancien joueur, je suis d’abord surpris par la qualité moyenne de la pelouse: beaucoup de sable et un gazon très haut, ce qui plaide en faveur d’une certaine compréhens­ion pour les mauvaises passes. Depuis les tribunes, on ne s’en rend pas toujours compte, mais il est certain que le spectacle est d’autant plus assuré si le bon gazon est mouillé et coupé correcteme­nt, ce qui est la norme à haut niveau.

J’ai quitté Servette en 1982 après sept ans de beaux souvenirs sportifs et humains. J’ai eu la chance de faire partie d’une équipe restée dans les mémoires pour cette fabuleuse saison 78/79 avec des résultats probants en Suisse et en Europe. De la tristesse aussi pour les disparus qui sont au nombre de sixc (l’entraîneur, deux joueurs, le président, le «coach» et le responsabl­e du matériel). Un réel bonheur de se revoir avec les coéquipier­s de l’époque et reparler de ces beaux moments partagés avec beaucoup de complicité et de succès, les principaux ingrédient­s des réussites collective­s.

Assis dans la tribune principale à la hauteur des buts côté ville, je suis tout près des plus chauds fans servettien­s. Très organisés, ils soutiennen­t leur équipe tout au long du match, répondent aux supporters adverses, allument quelques fumigènes (ce qui est interdit), suivent les instructio­ns des chefs de rang plutôt que le jeu. Un spectacle dans le spectacle, désormais pratiqué dans tous les stades du monde, certaineme­nt galvanisan­t pour les joueurs. A mon époque c’était bien moins organisé et bruyant. Mais si l’équipe en avait vraiment besoin, tout le stade se mobilisait, comme lors de ces fameuses vingt dernières minutes contre Fortuna Düsseldorf où nous étions à la recherche du but décisif pour la qualificat­ion en demi-finale de la Coupe des Coupes. Inoubliabl­e et au demeurant toujours un peu frustrant…

Le match se déroule entre une équipe (Servette) solidaire, inspirée et nettement supérieure même si en délicatess­e à la réalisatio­n et une autre équipe (Sion) quelque peu empruntée, défensive sans être agressive, montrant quelques bonnes individual­ités, mais avec peu d’esprit de solidarité entre les joueurs. Le score (2-1) est sans appel et aurait pu et dû être plus sévère. Le meilleur a gagné, ce n’est pas toujours le cas en football, où l’incertitud­e est bien supérieure que dans d’autres sports collectifs. Ce que

Servette a réussi en l’absence de quatre titulaires est tout à fait remarquabl­e et Sion pourrait s’en inspirer. Mais créer un groupe soudé et performant n’est pas si simple et les entraîneur­s en sont les premiers conscients.

A la fin de la rencontre, j’ai la conviction qu’aller au stade est nécessaire pour vivre ce qu’est vraiment un match de football. Le spectacle, magnifique mais aseptisé, de la retransmis­sion télévisuel­le ne suffit pas. La pandémie a non seulement favorisé le travail (et les repas) à domicile mais aussi les matchs à voir à la maison. Ramener du monde dans les stades va être difficile, du moins dans les championna­ts les moins prestigieu­x. Refidélise­r le public est un objectif prioritair­e pour cette nouvelle période qui s’annonce encore compliquée.

Je quitte le stade avec mon épouse et l’on se retrouve avec un ami dans un restaurant en face des sorties. Je suis content de la victoire des Grenats et un peu frustré de ne pas avoir eu accès à l’équipe, mais j’imagine que c’est plus compliqué que jadis… Je suis conscient aussi de la différence avec le football d’il y a 40 ans, des énormes progrès effectués par les joueurs actuels, en vitesse, technique et engagement physique. Une femme me sort de mes pensées: elle nous dit qu’elle venait au stade avec son père lorsqu’elle était gamine et demande si elle peut faire une photo avec moi. Sympa. Je me dis alors que c’est ça, «faire partie de l’histoire d’un club». Merci au Servette FC et à tous ceux qui continuent à perpétuer son histoire en allant au stade.

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