Le Temps

La prudence de Vladimir Poutine sur la place Rouge

- ALINE JACCOTTET @AlineJacco­ttet

Sur cette place Rouge ensoleillé­e où s’apprêtait à défiler son armée, le bref discours de Vladimir Poutine lundi a détrompé de nombreux spéculateu­rs qui s’attendaien­t à des annonces fracassant­es du chef du Kremlin.

D’abord, parce qu’il n’a pas été question de mobilisati­on. Rappeler tous les conscrits, c’est prendre le risque de miner encore plus le moral des troupes et de la population. D’abord, en raison du nombre de pertes: des milliers de militaires russes ont déjà trouvé la mort en Ukraine. Lors des 11 premiers jours de la guerre, 2000 à 4000 soldats avaient été tués, soit davantage que le nombre de victimes américaine­s lors des onze ans de la présence américaine en Afghanista­n, selon The Economist. Enrôler des conscrits, c’est aussi prendre le risque de les voir déserter, et influencer l’opinion publique en parlant de réalités bien différente­s de la propagande. Les témoignage­s des soldats américains revenus du Vietnam ou d’Afghanista­n avaient pesé sur le cours des événements.

Ensuite, Vladimir Poutine n’a pas prononcé une fois le mot «guerre». Peu importe le nombre de jours passés ou de morts depuis le début de l’offensive, Moscou continue d’assumer l’antagonism­e entre le caractère allusif de son discours – «opération», «interventi­on» – et la nature de ses actes. Si les Ukrainiens et le droit internatio­nal n’ont pas besoin de discours explicites pour savoir de quoi il s’agit – les Convention­s de Genève de 1949 ont établi qu’il suffisait d’observer l’usage de la force par un Etat sur un autre Etat pour constater une guerre –, le Kremlin attache une valeur centrale au choix des mots. Car s’il la déclare, Vladimir Poutine n’aurait eu d’autre choix que de la gagner: toute autre issue qu’un triomphe serait déshonoran­t. Or aujourd’hui, nul ne sait à quoi aboutira l’invasion de l’Ukraine.

Le discours très bref de Vladimir Poutine a aussi frappé par sa modération. Elle contrastai­t avec la puissance exhibée par son armée – si l’on excepte l’étrange absence de l’aviation, officielle­ment en raison des nuages. Le président a été jusqu’à saluer les engagement­s français et britanniqu­e pendant la Deuxième Guerre mondiale. Une retenue que certains observateu­rs disent constater aussi dans les manoeuvres russes en Ukraine. Contrairem­ent à ce qu’on pourrait croire, le Kremlin n’y utiliserai­t pas sa pleine capacité de feu. La conséquenc­e des défaillanc­es tactiques de l’armée russe mais aussi, peutêtre, le signe que Vladimir Poutine ne voit aucun intérêt à étendre cette guerre dont il ne parle pas aux pays membres de l’OTAN.

Un discours bref qui a aussi frappé par sa modération

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