Le parlement de Kharkiv défie le Kremlin
Un texte a été voté qui condamne l’agression russe. La date du 9 mai a été choisie avec soin pour envoyer un message fort et symbolique à Moscou: 100% des députés ont plébiscité le soutien à Kiev. Une victoire pour la présidente du parlement, qui dit ne pas vouloir provoquer la Russie
Lors d’une session extraordinaire du parlement régional de Kharkiv, qui a eu lieu lundi à 16h heure locale (15 heures en Suisse), 98 des 120 députés de l’oblast de Kharkiv se sont réunis virtuellement pour voter sur l’inaliénable intégrité territoriale de l’Ukraine et sur l’indépendance de cette dernière. Ils ont à une majorité absolue de 98 voix suivi la motion proposée par la présidente du parlement, Tetiana Yehorova-Lutsenko. Le texte adopté condamne en outre sans équivoque l’agression russe et souligne l’appartenance de Kharkiv à l’Ukraine. En célébrant à leur manière le 9 mai, les députés ont envoyé un message de défiance à Moscou, la réponse du berger à la bergère, qui pourrait se résumer ainsi: nous ne voulons pas être libérés par les forces russes.
Ce raz-de-marée en faveur de Kiev, dans un oblast largement russophone et longtemps considéré comme plutôt favorable au Kremlin, est un succès pour Tetiana Yehorova-Lutsenko, membre du parti de Zelensky: elle a réussi à réunir autour du texte qu’elle a proposé au vote les députés de la majorité présidentielle, ceux du parti de l’ancien maire de la ville, Hennadiy Kernes, décédé en 2020, mais aussi un certain nombre de députés de l’ancienne opposition pro-russe. Tetiana Yehorova-Lutsenko a convoqué cette session extraordinaire le 7 mai, «mais le projet a été préparé de longue date, à la mi-avril», concède-t-elle. La réunion, son format et l’objet du vote ont été tenus absolument secrets pour des raisons de sécurité. Comme le lieu où la rencontre a été techniquement organisée: un sanatorium discret à l’extérieur de Kharkiv.
Des référendums illégaux
La date du 9 mai n’a pas été choisie au hasard et Tetiana Yehorova-Lutsenko sait qu’elle sera perçue à Moscou comme une véritable provocation. D’autant plus dans le contexte actuel où l’armée ukrainienne mène une contre-offensive décisive au nord et à l’est de la ville de Kharkiv et repousse les troupes russes. «Nous voulions, dit-elle, envoyer, ce 9 mai, un signal fort à l’armée ukrainienne qui doit pouvoir compter sur l’appui du monde politique et de la population. C’est aussi une manière de montrer que la ville soutient sans réserve le gouvernement de Kiev.» Mais elle conteste avoir voulu jeter de l’huile sur le feu. «Disons plutôt, précise-telle, que nous voulions donner un sens fort et hautement symbolique à ce vote parlementaire.»
Le vote de Kharkiv coupe l’herbe sous le pied des occupants russes qui, en toute vraisemblance, tenteront d’organiser plusieurs référendums d’autodétermination dans les villes et régions qu’ils contrôlent, notamment à Kherson et dans une partie de l’oblast éponyme. Car le texte plébiscité par les élus proclame que seuls les représentants élus du peuple – en l’espèce, ceux du parlement régional – ont la légitimité de modifier le statut ou les frontières de l’oblast. En conséquence, tout référendum organisé par les occupants serait illégal, invalide et n’aurait aucune conséquence juridique parce que, précise le décret adopté, «les actes juridiques normatifs des forces d’occupation de la Fédération de Russie ne produisent aucune conséquence juridique en Ukraine».
Comme la plupart des habitants de Kharkiv, Tetiana Yehorova-Lutsenko a boudé les célébrations du 9 mai. Elle n’a même pas daigné suivre le discours du président russe à la télévision. «J’ai assez à faire, se justifie-t-elle, je m’intéresse aux actes, à la situation sur le terrain, pas aux mensonges de Poutine.» Le gouvernement avait recommandé aux citoyens d’éviter de sortir de chez eux en raison d’un risque accru de bombardements. Mais, à Kharkiv et sur l’ensemble du territoire ukrainien, les violences redoutées n’ont pas eu lieu. Ironiquement, sur l’avenue de Belgorod, à l’entrée du mémorial de la Deuxième Guerre mondiale, où chaque année les parades du 9 mai ont lieu, l’un des deux bas-reliefs qui célèbrent ce que dans le monde russe on appelle la Grande Guerre patriotique a été partiellement détruit par un obus russe. Cette année, personne n’est venu.
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