Le Temps

Macron douche les rêves européens de Kiev

Alors que Vladimir Poutine célébrait son 9 mai à Moscou, le président français fraîchemen­t réélu a profité d’un grand discours à Strasbourg pour proposer un scénario alternatif à l’adhésion de l’Ukraine

- PAUL ACKERMANN, PARIS @paulac

Ce lundi, c’était l’embouteill­age de symboles pour la grande rentrée européenne d’Emmanuel Macron. Tout d’abord, alors que Vladimir Poutine montrait les muscles avec sa très attendue célébratio­n du 9 mai, anniversai­re de la victoire soviétique sur l’Allemagne nazie, le président français tout juste investi profitait d’un voyage à Strasbourg pour prononcer un discours qui se voulait marquant. «Deux modèles s’affirmeron­t face à face», prévenait l’Elysée.

Ensuite, dans la soirée de cette «fête de l’Europe», le président français s’est rendu à Berlin pour rencontrer le chancelier Olaf Scholz au lendemain du 8 mai et de ses commémorat­ions de la victoire des alliés sur le nazisme. Objectif: réaffirmer «la force du couple franco-allemand». C’était sa première visite officielle depuis sa seconde investitur­e, comme le veut la tradition entre ces deux pays voisins au coeur du moteur européen. Là aussi, le contexte de la guerre en Ukraine donnait à l’événement un aspect particuliè­rement dramatique.

Le discours de Strasbourg clôturait la Conférence sur l’avenir de l’Europe, née à l’initiative du président français. Ce vaste processus participat­if a abouti sur 49 propositio­ns et son rapport final a été remis à cette occasion aux présidents des trois institutio­ns européenne­s: Roberta Metsola pour le Parlement, Ursula von der Leyen pour la Commission et Emmanuel Macron car la France assure la présidence tournante du Conseil de l’UE. C’est par ailleurs pendant cette cérémonie qu’Ursula von der Leyen a annoncé qu’elle souhaite l’abandon du vote à l’unanimité des Vingt-Sept dans «des domaines clés» et que la Commission européenne compte donner en juin son avis sur l’obtention par l’Ukraine du statut de candidat à l’UE. Un délais court qu’elle voulait optimiste, un optimisme douché dans la foulée par Emmanuel Macron.

«Nous ne sommes pas en guerre contre la Russie»

Face aux députés et aux citoyens qui ont participé à la consultati­on, le président français a effectivem­ent commencé sa prise de parole en citant Robert Schuman dont on commémorai­t la déclaratio­n du 9 mai 1950 en cette Journée de l’Europe. Ce texte fondateur de la constructi­on européenne avait à l’époque pour but d’éloigner l’éventualit­é d’un nouveau conflit mondial. Ce lundi, Emmanuel Macron a affirmé que l’Europe devait «tout faire pour que l’Ukraine puisse tenir et la Russie ne jamais l’emporter» mais il s’est empressé de rappeler: «Nous ne sommes pas en guerre contre la Russie». Pour lui, il appartient aux Ukrainiens de définir les termes de la paix avec la Russie. Se projetant dans l’aprèsguerr­e, il a appelé à «ne jamais céder à la tentation de l’humiliatio­n et de l’esprit de revanche» afin d’éviter l’échec de l’après-1918 et de rester fidèle au projet européen qui est «né de la guerre». «Nous aurons demain une paix à bâtir», a rappelé Emmanuel Macron en conférence de presse. L’heure est visiblemen­t à l’apaisement du côté de Paris.

«C’est dans l’esprit de la déclaratio­n de Schuman qui était de dépasser les envies de revanche», nous explique Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors. «Emmanuel Macron n’a quand même pas parlé de réconcilia­tion mais c’est peut-être déjà ça qu’il a en tête.»

Un «club des démocratie­s libérales»

Sur l’éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’UE, Emmanuel Macron a également été mesuré en appelant à ouvrir une réflexion «historique» pour repenser la géographie du continent: «L’Ukraine par son combat et son courage est

«Nous savons tous que le processus d’adhésion prendrait plusieurs décennies» EMMANUEL MACRON, PRÉSIDENT DU CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE

d’ores et déjà membre de coeur de notre union» mais «nous savons tous que le processus d’adhésion prendrait plusieurs décennies», a-t-il affirmé. «L’Union européenne ne peut pas être le seul moyen de structurer le continent, selon le président français. Il nous faut très clairement trouver la voie pour penser notre Europe sans fragiliser l’intimité de notre Union.»

Il propose donc de créer, en dehors de l’UE, «une communauté politique européenne», un «nouvel espace de coopératio­n» qui pourrait intégrer les pays comme l’Ukraine, qui partagent les mêmes valeurs mais qui ne peuvent ou ne veulent pas rentrer dans l’Union à court terme. Une idée jugée «très intéressan­te» par Olaf Scholz dans la soirée.

Pour Sébastien Maillard, Emmanuel Macron brise là un tabou sur l’adhésion «qui embarassai­t de nombreux pays». «C’est toujours difficile de dire non à un pays martyr», nous explique-t-il «mais économique­ment l’Ukraine n’est pas du tout au niveau et elle connaît d’énormes problèmes de corruption». Elle pourrait grâce à cette «autre approche de l’élargissem­ent» rentrer dans une communauté politique avant d’éventuelle­ment joindre l’union économique. Un «club des démocratie­s libérales» qui pourrait, selon Sébastien Maillard, aussi intéresser le Royaume-Uni et… la Suisse.

Révision des traités

Emmanuel Macron a également affirmé vouloir lutter contre les dépendance­s europénnes, notamment vis-à-vis des «énergies fossiles russes» mais aussi pour «retrouver l’indépendan­ce alimentair­e». Un «agenda d’indépendan­ce stratégiqu­e» censé donner plus de souveraine­té à l’Europe, également en matière de défense et de sécurité.

Finalement, le président français a ouvert la porte à une Europe à plusieurs vitesses et à des processus de décision différents. Il a également insisté sur un besoin de plus grande «efficacité» et de décisions plus rapides quitte à «réformer les textes» via «la convocatio­n d’une convention de révision des traités». Une volonté partagée par Ursula von der Leyen ce même jour. Treize pays européens ont fait savoir dans la foulée leur opposition à de tels changement­s dont la Pologne, la Roumanie, la Finlande et la Suède.

Pour Sébastien Maillard, Emmanuel Macron répond peut-être par cette propositio­n à la volonté des mélenchoni­stes de «désobéir» à certains traités européens. Il montrerait ainsi aux Français euroscepti­ques que l’on peut obéir aux traités mais être ouvert à leur révision. Une rentrée européenne qui peut donc également avoir des visées nationales en pleine campagne pour les élections législativ­es.

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