Les frontaliers ne veulent pas moins télétravailler
Le 30 juin prochain, la dérogation supprimant les limites pour le télétravail des frontaliers arrivera à son terme. Un accord pérenne pourrait toutefois être trouvé. En attendant, les cantons de l’Arc jurassien ont mené une enquête auprès des entreprises de la région afin de dresser un état des lieux
La pandémie a complètement chamboulé les cartes en matière de travail à domicile. Si, pour les résidants suisses, les règles applicables sont du seul ressort des entreprises, cela se complique pour les frontaliers soumis à des traités internationaux. Ils bénéficient toutefois, depuis le 13 mai 2020, des mêmes règles que leurs collègues vivant en Suisse grâce à un accord à l'amiable entre la Suisse et la France.
Un arrangement qui a été reconduit de six mois en six mois, mais dont l'échéance a été fixée au 30 juin prochain. Passé cette date, et faute d'une nouvelle prolongation, la législation d'avant la pandémie s'appliquera de nouveau et les frontaliers ne pourront plus travailler de leur domicile à plus de 25% de leur taux d'activité, soit au maximum un jour et quelques heures par semaine. S'ils dépassent cette limite, ils seront alors assujettis aux assurances sociales françaises, bien plus importantes qu'en Suisse.
Discrimination mal vécue
Fortement concernés par cette thématique, Berne, le Jura, Neuchâtel et Vaud, les quatre cantons formant l'association Arcjurassien.ch ont mené une enquête auprès de 3500 entreprises de leur région afin de dresser un état des lieux. Près de 40% d'entre elles n'offraient pas de possibilités de travail à domicile avant la pandémie.
Sur les 65000 frontaliers qui sont employés dans la région, l'étude montre que 61% de ceux qui en avaient la possibilité ont télétravaillé. Une pratique de plus en plus plébiscitée lors des recrutements, comme en témoigne Nicolas Boudin, directeur financier de TAG Heuer, résidant lui-même sur sol français. «C'est une requête qui revient systématiquement lors des entretiens d'embauche.»
La manufacture horlogère de La Chaux-de-Fonds emploie un millier de personnes sur ses différents sites, dont environ 50% occupent des postes permettant le travail à distance. Anticipant l'échéance de l'accord à l'amiable avec la France, l'entreprise autorise désormais les résidants suisses à télétravailler deux jours par semaine et les frontaliers un jour. «C'est aberrant de devoir ainsi faire une discrimination entre employés, alors que les entreprises oeuvrent en leur sein pour souder les équipes et maintenir une ambiance harmonieuse. Cela crée des tensions et des ressentis, malgré les efforts pédagogiques menés pour expliquer cette différence.» Et Nicolas Boudin de souligner qu'il n'est pas envisageable pour TAG Heuer de se lancer dans les fastidieuses procédures administratives, sans compter les coûts bruts, qu'impliquerait un assujettissement aux assurances sociales de l'Hexagone.
Harmonisation européenne
La volonté est forte, des deux côtés de la frontière, de trouver un accord pérenne qui serait profitable à tous. Annie Genevard, députée Les Républicains du Doubs et vice-présidente de l'Assemblée nationale, souligne que cette dernière a adopté une résolution le 9 mars dernier invitant l'Union européenne à faire du statut des travailleurs frontaliers un sujet de la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Mais également à rechercher une harmonisation des législations nationales des Etats membres sur ce sujet.
Pour l'heure, en ce qui concerne la France et la Suisse, un consensus semble se dessiner pour augmenter la limite à 40% de télétravail autorisé, soit deux jours par semaine. «Nous pourrions être favorables à cette option, mais il faudra trouver un compromis pour la fiscalité et les charges sociales», note Pascal Broulis, ministre des Finances et des Relations extérieures du canton de Vaud. Et son homologue neuchâtelois Laurent Kurth de confirmer: «Il serait souhaitable de pérenniser le régime actuellement en vigueur.» L'étude commandée par l'association Arcjurassien.ch et menée par l'institut Bass permettra d'appuyer les négociations.
Pierre Alain Schnegg, président de l'association et conseiller d'Etat bernois chargé des Affaires sociales et de la Santé insiste sur l'importance des enjeux pour la région. «Nous partageons un très grand savoir-faire industriel, l'Arc jurassien crée de l'emploi mais manque de main-d'oeuvre qualifiée.» D'autres enjeux de taille sont directement concernés, comme le met en exergue David Eray, président du Gouvernement jurassien. «Le fait que les gens puissent travailler depuis chez eux améliore les problèmes de mobilité, les frontaliers se déplaçant presque exclusivement avec des véhicules individuels. Cela a, par conséquent, un impact non négligeable sur les émissions de CO2 et les engagements pris pour les réduire lors de la Conférence sur le climat (COP26) à Glasgow en novembre dernier.»
Le suspense demeure entier quant à savoir ce qu'il se passera le 1er juillet, mais il n'est pas exclu qu'une nouvelle prorogation soit acceptée. ■