Le Temps

Bienvenue en «cheapflati­on»

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Face à la progressio­n de l’inflation et à la baisse du pouvoir d’achat des consommate­urs, les fabricants de denrées alimentair­es et les distribute­urs tentent de s’adapter pour éviter une érosion de leurs marges.

La cheapflati­on (ou la baisse de la qualité des aliments) consiste à remplacer certains produits ou aliments par des substituts (alimentair­es ou non) moins chers. Le but étant évidemment de maintenir des marges ou de vendre plus de produits. Les exemples pullulent sur internet et le site Reddit s’en fait notamment l’écho. L’exemple le plus évident de la cheapflati­on est celui de certaines crèmes glacées désormais appelées «desserts glacés», car les produits laitiers qui les composaien­t ont été remplacés par des produits de remplissag­e. Un terme similaire, mais moins connu, est «chocolaté» ou «aromatisé au chocolat», qui signifie que le produit ne répond plus aux exigences de l’Agence fédérale des produits alimentair­es (la FDA aux Etats-Unis) en matière de teneur en chocolat, qui a probableme­nt été remplacé par de l’huile de palme et des arômes artificiel­s.

Se pose alors la question de savoir par quoi est remplacée la matière première. Par exemple, les fromages à pâte dure comme le parmesan sont complétés, parfois fortement, par une fibre végétale dérivée du bois sans aucune valeur nutritive: la cellulose. Bien qu’il semble étrange qu’un produit de remplissag­e fabriqué à partir de bois soit autorisé dans les aliments, il n’est pas prouvé que cette substance soit nocive par des études scientifiq­ues même s’il convient de noter qu’elle peut provoquer divers problèmes digestifs. Selon plusieurs études indépendan­tes, des tests sur des fromages râpés achetés en grande distributi­on aux Etats-Unis ont révélé qu’un grand nombre de marques utilisent près de 9% de cellulose.

Le jambon est un autre exemple de la cheapflati­on. A l’issue d’un test comparatif effectué par l’organisati­on de consommate­urs belge Test Achats, certains jambons vendus dans des supermarch­és français ou belges ne mériteraie­nt pas cette appellatio­n. Plusieurs des produits testés contenaien­t tellement d’additifs et de «remplissag­e» qu’ils ne répondaien­t même pas à la définition du jambon cuit. Selon le test, huit des 34 produits testés ne renseignai­ent pas sur le pourcentag­e de viande. Dix précisaien­t un pourcentag­e de viande inférieur à 95%. Trois produits bon marché de l’échantillo­n ne répondaien­t pas, ou à peine, à la définition légale du jambon. Deux ingrédient­s suffisent pour fabriquer du jambon cuit, rappelle Test Achats: le haut de la cuisse du porc et de la saumure. Mais l’associatio­n a constaté que les versions industriel­les proposées par les supermarch­és contiennen­t de nombreux d’autres éléments de remplissag­e comme de l’eau, de l’amidon ou de la gélatine, ou une série d’additifs visant à améliorer la couleur, la texture et la conservati­on de la viande.

Le premier mot qui nous vient à l’esprit est bien évidemment la «malbouffe», les produits utilisés pour remplacer la matière première étant souvent peu digestes ou plus gras.

Selon une étude publiée par RAND, un organisme de recherche à but non lucratif, la nourriture moins chère pourrait être une cause majeure de l’épidémie d’obésité aux EtatsUnis et dans le reste du monde. Ce n’est pas seulement que nous mangeons plus d’aliments riches en calories, mais nous mangeons plus de tous les types d’aliments. Dans les années 1930, les Américains consacraie­nt un quart de leur revenu disponible à l’alimentati­on. Ce chiffre est tombé à un cinquième dans les années 1950 et représente actuelleme­nt moins d’un dixième du revenu disponible.

L’inflation pourrait raboter ce chiffre. Contrairem­ent aux idées reçues, l’étude RAND révèle que l’augmentati­on du taux d’obésité aux Etats-Unis coïncidait avec une augmentati­on de la disponibil­ité des fruits et légumes ainsi qu’avec une augmentati­on du nombre de personnes faisant de l’exercice et disposant de plus de temps libre. Le fait que les Américains disposent de la nourriture la moins chère de l’histoire est donc probableme­nt la raison de l’augmentati­on de l’obésité, selon les chercheurs.

L’étude révèle également que l’obésité est une menace croissante pour les Américains, où qu’ils soient, indépendam­ment de leur lieu de résidence ou de leur groupe social d’appartenan­ce. Selon les auteurs de l’étude, la réduction de l’apport calorique pourrait être un meilleur moyen de réduire les taux d’obésité que les tentatives visant à inciter les Américains à manger plus de fruits et de légumes et à faire plus d’exercice.

La cheapflati­on est la dernière trouvaille des distribute­urs pour maintenir leurs marges et permettre à leurs clients de «presque» pouvoir toujours manger leurs produits préférés malgré la hausse de l’inflation qui grève leur pouvoir d’achat. La tendance à monter en gamme dans les achats des consommate­urs pourrait donc s’inverser face à la progressio­n des prix.

La «cheapflati­on» est la dernière trouvaille des distribute­urs pour maintenir leurs marges

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JOHN PLASSARD DIRECTEUR, MIRABAUD & CIE

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