Le Temps

Hansjörg Wyss, étonnant repreneur de Chelsea

Le milliardai­re suisse Hansjörg Wyss a surpris tout le monde en s’associant au rachat du club de football anglais Chelsea. Depuis dix ans, l’entreprene­ur installé aux Etats-Unis a multiplié les donations sans s’aventurer dans le monde du sport

- ALINE BASSIN @bassinalin­e

C’est un patron comme la Suisse les aime. Alors qu’il dirigeait l’entreprise Synthes, Hansjörg Wyss aurait affirmé que le travail annuel d’un être humain ne pouvait valoir davantage que 1 million de francs. Ce Bernois de souche a tout de même gagné bien plus en cédant en 2012 sa société active dans les prothèses orthopédiq­ues au géant américain Johnson & Johnson pour un montant de 20 milliards de dollars. En 2014, le magazine Forbes estimait sa fortune à quelque 10 milliards de dollars. Toujours selon la même source, celle-ci aurait été pratiqueme­nt divisée par deux depuis.

Voir dans cette forte diminution un revers de fortune serait toutefois erroné. Car durant la décennie écoulée, cet homme décrit comme un esprit unique, indépendan­t et libre s’est appliqué à redonner à la société ce qu’il avait reçu, multiplian­t les donations. «C’est tout simplement le plus grand mécène des milieux académique­s suisses», résume Patrick Aebischer. L’ancien président de l’EPFL a bien connu l’entreprene­ur lors de la création, en 2014, du Wyss Center de Genève, un centre consacré à l’innovation dans les technologi­es neurologiq­ues.

La Cité de Calvin était alors encore sonnée par l’annonce de la fermeture du site de Serono, société achetée huit ans plus tôt par le groupe allemand Merck pour 16,6 milliards de dollars à la famille Bertarelli. Sous l’égide de l’EPFL, l’ancien vainqueur d’Alinghi et le philanthro­pe bernois s’allient pour créer sur les cendres de l’entreprise le campus Biotech, un lieu dédié à la recherche appliquée et à l’entreprene­uriat dans les sciences de la vie.

La même année, le mécène applique la même formule dans la ville de Zurich où il avait étudié, soutenant la création d’un centre de recherche – toujours dans le domaine des technologi­es de la santé – conjoint à l’EPFZ et l’Université de Zurich. Il répétera l’expérience à Berne, avec la même volonté de faire passer les avancées scientifiq­ues de la recherche dans l’économie et la société. Il soutient d’ailleurs plusieurs start-up dont la biotech zurichoise Molecular Partners. «Il aime amener les recherches des université­s vers les hommes», note Patrick Aebischer, qui l’a côtoyé la première fois au début des années 2010, à l’occasion de l’un de ses dons à l’Université Harvard dont il reste le plus grand mécène (400 millions de dollars à ce jour).

Américain de coeur

Car si Hansjörg Wyss ne renie pas sa terre natale sur laquelle il revient régulièrem­ent, il a choisi très tôt les Etats-Unis pour port d’attache. Après avoir obtenu une licence d’ingénieur à l’EPFZ, le Bernois, issu d’un milieu modeste, obtient en 1965, à 30 ans, un MBA dans la prestigieu­se Université Harvard à laquelle il fera plus de quarante ans plus tard ses retentissa­ntes donations (plus de 400 millions de dollars échelonnés sur dix ans).

C’est d’ailleurs depuis la côte Est américaine qu’il a développé Synthes. Il a rejoint dans les années 1970 cette entreprise lors de sa création. Il y occupera les fonctions de directeur général, puis de président jusqu’à sa vente il y a dix ans.

Celui qui se dit conscient de payer trop peu d’impôts avait déjà commencé à redistribu­er sa fortune à la fin du XXe siècle, via notamment la Fondation Wyss dont les actifs sont aujourd’hui évalués à 2 milliards de dollars. Fasciné par les grands espaces américains qu’il a découverts étudiant, il finance de nombreuses causes environnem­entales dans son pays d’adoption et à l’étranger.

Hansjörg Wyss est aussi un indéfectib­le soutien du Parti démocrate américain, rappelle Martin Naville. Le directeur de la Chambre de commerce suisse-américaine décrit comme une personnali­té «étonnante et pleine de relief» celui qui, à 86 ans, ne semble rien avoir perdu de son dynamisme. Son organisati­on s’apprête à lui remettre le 17 mai à Genève le Prix Gallatin en présence du conseiller fédéral Guy Parmelin. Cette distinctio­n salue l’engagement d’une personnali­té suisse étroitemen­t liée aux EtatsUnis. Elle fait référence à Albert Gallatin, un Genevois qui a migré au XVIIIe siècle aux Etats-Unis. Il sera secrétaire d’Etat au Trésor de la jeune démocratie de 1801 à 1814.

Querelle de milliardai­res

Exactement deux siècles plus tard, l’ancien patron de Synthes se montrera choqué par l’acceptatio­n de l’initiative «Contre l’immigratio­n de masse» en 2014. Celui qui avait déjà regretté le rejet de l’Espace économique européen en 1992 soutiendra dans la foulée le lancement de l’initiative «Pour sortir de l’impasse». A la faveur d’une loi d’applicatio­n qui sauve la voie bilatérale avec l’Union européenne, le texte sera finalement abandonné.

Le duel de milliardai­res que certains entrevoyai­ent avec le ténor de l’UDC Christoph Blocher n’aura ainsi finalement pas lieu. Par l’intermédia­ire des médias alémanique­s, les deux hommes s’accrochero­nt toutefois quelques années plus tard, durant la pandémie. Dans le Blick, Hansjörg Wyss se dit alors agacé par les membres du parti agrarien qui fulminent contre une campagne de vaccinatio­n, tranchant: «Cela indique un manque d’intelligen­ce.» «Après ma dernière conversati­on avec Hansjörg Wyss, je n’ai pas trouvé qu’il était beaucoup plus intelligen­t que moi. Il n’a pas besoin d’être aussi arrogant», rétorquera l’ancien patron d’EMS-Chemie dans le même journal, signalant au passage vivre, lui, au pays.

A l’instar de nombreux hommes d’affaires, l’ancien dirigeant de Synthes a aussi connu des passes difficiles. En 2016, il comparaît ainsi devant la justice américaine, accusé avec sa société d’avoir procédé à des essais avec un ciment osseux qui se révélera mortel. L’affaire se solde par un accord entre les parties concernées pour un montant qui n’a jamais été divulgué.

Cet adepte de randonnée, de golf et de ski alpin communique de manière plus ouverte sur ses donations. Signataire de l’initiative philanthro­pique The Giving Pledge lancée notamment par le fondateur de Microsoft Bill Gates, il a annoncé il y a quatre ans son intention de débloquer 1 milliard de dollars durant la décennie à venir pour voler au secours de la planète.

Un très grand réseau

Environnem­ent, innovation, politique ou encore culture… les observateu­rs croyaient avoir cerné les centres d’intérêt de Hansjörg Wyss. Bien peu auraient pourtant misé sur son nom pour reprendre le club de football anglais Chelsea, aux côtés de Todd Boehly et de Mark Walter, copropriét­aires de l’équipe de baseball des Los Angeles Dodgers. Comment le groupe d’investisse­urs qui, sauf coup de théâtre, rachètera pour un montant record de 5,2 milliards de dollars la formation de première ligue s’est-il forgé à la faveur d’amitiés? Pour l’heure, nul ne le sait. Comme tout milliardai­re, Hansjörg Wyss dispose en tout cas d’un très grand réseau, indique Patrick Aebischer.

Sportifs ou généralist­es, les médias ne manqueront ainsi certaineme­nt pas de se presser à la réception qui sera organisée le 17 mai prochain en son honneur à Genève pour tenter de mieux comprendre les motivation­s de celui qui est réputé pour suivre de près l’évolution des causes qu’il soutient. Samedi dernier, l’équipe s’est contentée d’un modeste match nul (2-2) dans son antre de Stamford Bridge contre Wolverhamp­ton. ■

«Je paie trop peu d’impôts, comme la plupart des riches aux Etats-Unis» HANSJÖRG WYSS

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