Le fantasme de la «neutralité suisse»
Les évènements tragiques qui se déroulent en Ukraine ont engendré dans notre pays un florilège de discours et d’articles à propos de ce que nous autorise ou pas notre «neutralité». Les débats qui agitent nos concitoyens et les médias à ce sujet mettent en lumière la façon dont nous nous sommes approprié, dans une sorte «d’helvético-centrisme» cette neutralité dont nous sommes si fiers mais qui ne dépend plus de nous.
Il est vrai que nos ancêtres ont affirmé, dès le XVIIe siècle, leur détermination de rester à l’écart des conflits qui meurtrissaient le continent, en même temps que leur volonté d’indépendance. Mais il est surtout évident, en dernière analyse, que ce sont les puissances européennes du début du XIXe siècle, à savoir la Russie, l’Empire austrohongrois, l’Angleterre et la France, qui nous ont accordé leur garantie de ce statut. Non pas pour nous être agréables mais à leur profit, dans l’intérêt de la stabilité et la paix en Europe.
Ces dernières ne craignaient plus à l’époque la qualité et la puissance de nos armées. Les guerres napoléoniennes avaient montré leurs faiblesses et leurs limites. Par contre, nous rappellent les historiens, il s’agissait pour elles de «verrouiller» le coeur de l’Europe et les passages alpins. En conséquence, elles entendaient d’une part, empêcher les Helvètes de participer aux éventuelles coalitions militaires qui pourraient se constituer à l’avenir sur le continent, d’autre part obliger les cantons à défendre le territoire confédéral en cas d’agression d’un de leurs voisins.
A la lumière de ce rappel, on prend conscience de l’inanité des débats qui ont fleuri récemment, dans les milieux politiques, les médias et… au café du Commerce. Dans le contexte géopolitique mondialisé de ce début du XXIe siècle, la neutralité, à laquelle nous nous sommes effectivement conformés depuis deux siècles et dont, lors des deux derniers conflits mondiaux, nous avons su efficacement tirer les avantages, n’a plus ni sens ni fondements. Devenue sans objet pour nos partenaires européens, il n’en reste qu’un mythe que nous aimons cultiver pour nous rassurer.
Il est temps que nous reconnaissions que nous faisons partie du Vieux-Continent, et que dans notre monde hyperconnecté et rétréci, nous partageons le destin de l’Union européenne. En cas de conflit dans lequel celle-ci se verrait entraînée, nous ne pourrions que lutter à ses côtés. ■