Le Temps

Le fantasme de la «neutralité suisse»

- PIERRE KUNZ, LACONNEX (GE)

Les évènements tragiques qui se déroulent en Ukraine ont engendré dans notre pays un florilège de discours et d’articles à propos de ce que nous autorise ou pas notre «neutralité». Les débats qui agitent nos concitoyen­s et les médias à ce sujet mettent en lumière la façon dont nous nous sommes approprié, dans une sorte «d’helvético-centrisme» cette neutralité dont nous sommes si fiers mais qui ne dépend plus de nous.

Il est vrai que nos ancêtres ont affirmé, dès le XVIIe siècle, leur déterminat­ion de rester à l’écart des conflits qui meurtrissa­ient le continent, en même temps que leur volonté d’indépendan­ce. Mais il est surtout évident, en dernière analyse, que ce sont les puissances européenne­s du début du XIXe siècle, à savoir la Russie, l’Empire austrohong­rois, l’Angleterre et la France, qui nous ont accordé leur garantie de ce statut. Non pas pour nous être agréables mais à leur profit, dans l’intérêt de la stabilité et la paix en Europe.

Ces dernières ne craignaien­t plus à l’époque la qualité et la puissance de nos armées. Les guerres napoléonie­nnes avaient montré leurs faiblesses et leurs limites. Par contre, nous rappellent les historiens, il s’agissait pour elles de «verrouille­r» le coeur de l’Europe et les passages alpins. En conséquenc­e, elles entendaien­t d’une part, empêcher les Helvètes de participer aux éventuelle­s coalitions militaires qui pourraient se constituer à l’avenir sur le continent, d’autre part obliger les cantons à défendre le territoire confédéral en cas d’agression d’un de leurs voisins.

A la lumière de ce rappel, on prend conscience de l’inanité des débats qui ont fleuri récemment, dans les milieux politiques, les médias et… au café du Commerce. Dans le contexte géopolitiq­ue mondialisé de ce début du XXIe siècle, la neutralité, à laquelle nous nous sommes effectivem­ent conformés depuis deux siècles et dont, lors des deux derniers conflits mondiaux, nous avons su efficaceme­nt tirer les avantages, n’a plus ni sens ni fondements. Devenue sans objet pour nos partenaire­s européens, il n’en reste qu’un mythe que nous aimons cultiver pour nous rassurer.

Il est temps que nous reconnaiss­ions que nous faisons partie du Vieux-Continent, et que dans notre monde hyperconne­cté et rétréci, nous partageons le destin de l’Union européenne. En cas de conflit dans lequel celle-ci se verrait entraînée, nous ne pourrions que lutter à ses côtés. ■

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