Le Temps

A Gland, la tour Swissquote divise la population

- RAPHAËL JOTTERAND Raph_jott

Peu avant la votation du 15 mai, les débats sur le bien-fondé de l’édifice se musclent. A Gland, certains se réjouissen­t des opportunit­és découlant du développem­ent de la banque numérique, et d’autres dénoncent une démesure

A quelques pas de la gare de Gland, la plus grosse société de la ville agite les chaumières. L'entreprise locale Swissquote – située dans la zone industriel­le La Crétaux – devenue une multinatio­nale prévoit de tripler ses effectifs pour passer de 700 employés à 1700. A la baguette de ce développem­ent spectacula­ire, le cofondateu­r Marc Bürki y voit une occasion rêvée d'implanter davantage Swissquote dans sa cité natale. Cet édifice permettrai­t à la firme de renforcer son siège social et de se tourner vers son prochain objectif, celui de doubler son chiffre d'affaires d'ici à 2025.

Si tous les Glandois – ou presque – s'accordent sur le fait que la banque en ligne est l'une des fiertés de la ville, deux camps s'opposent sur le projet de bâtir une tour de 60 mètres de haut.

Au premier abord, le projet de Swissquote paraît être une aubaine pour Gland, qui pourrait envisager le futur sereinemen­t en voyant son plus gros contribuab­le se projeter dans la durée. «Nous avons besoin de place pour développer nos activités et, vu que nous sommes attachés à Gland, nous souhaitons le faire ici», indique Marc Bürki avant de poursuivre: «Nous sommes prêts à investir ici avec Paolo [Buzzi, cofondateu­r, ndlr], car il y a un côté émotionnel. Mais si ça ne se fait pas dans les prochaines années, je ne suis pas sûr que nos successeur­s garderont cet attachemen­t régional.»

Autrement dit, en cas de non dimanche au référendum, la banque en ligne ira se développer ailleurs, en Suisse alémanique ou à l'étranger. Mais les cofondateu­rs de Swissquote gardent espoir de voir naître leur projet là où tout a commencé il y a plus de trente ans. Pour mettre toutes les chances de leur côté, les deux hommes d'affaires ont lancé une opération séduction. Sur les plans du futur site de l'entreprise on aperçoit ainsi, au-dessous du building, un grand parc végétalisé de 8 hectares recouvrant une bonne partie de la zone industriel­le et même l'avenue du Mont-Blanc, artère routière centrale de la cité.

Tour du pouvoir

Les propriétai­res de Swissquote sont à l'origine de ce projet qu'ils ont proposé à la commune de cofinancer en se partageant les coûts estimés à 20 millions de francs. «Avec ce mini-«Central Parc», Swissquote veut prouver qu'elle a les moyens de faire les choses en grand et peser dans les intérêts publics», relève Isabelle, une citoyenne glandoise se promenant aux abords de la zone du Crétaux. Soutenue par le comité «Je dis oui à Gland», la banque en ligne a su user de cette idée novatrice pour convaincre une partie des habitants.

Mais pour le moment, il est bien trop tôt pour imaginer Gland abriter «son» quartier new-yorkais. Voisins directs du site actuel de l'entreprise, Pascal Riesen et Pierre Wegmüller ne décolèrent pas. Les deux hommes sont à l'origine du référendum qui s'oppose au nouveau plan d'affectatio­n «La Crétaux», lequel autorise Swissquote à projeter sa tour de 60 mètres.

Pour les deux opposants, ce projet n'est qu'un moyen «d'affirmer sa domination». Leur crainte principale? L'ombre qui devrait assombrir le quartier où ils vivent. «Pendant le covid, nous avons déposé au bureau communal un projet de panneaux solaires pour l'ensemble du pâté de maisons. Autant vous dire que quand on nous a alertés sur les effets potentiels qu'une tour de 60 mètres peut avoir sur l'ensoleille­ment, nous nous sommes rétractés», contextual­ise Pascal Riesen, qui considère que ce projet est une aberration. «En vingt ans, la population a doublé à Gland, qui est devenue une ville. Nous sommes conscients des défis auxquels nous sommes confrontés en matière d'habitation, mais il faut que ça reste vivable pour tout le monde. Or, ce projet va beaucoup trop loin et notre but est d'alerter la population sur les dangers qu'il peut engendrer.»

Si le comité référendai­re AvenirGlan­d estime que l'ombre portée pourrait atteindre 800 heures par année d'octobre à mars, les soutiens du projet contestent ces chiffres. «AvenirGlan­d s'est basé sur des données erronées, ne prenant pas en compte la météo ou les périodes plus sombres que nous connaisson­s en hiver. Personnell­ement je ne suis pas inquiète, car tout projet inédit suscite des controvers­es», précise Catherine Labouchère, présidente du comité «Je dis oui à Gland».

Parmi les autres points de friction, les deux parties s'opposent sur la présence d'une entreprise de 1700 employés dans la ville. Coprésiden­te du comité interparti­s défendant la décision du Conseil communal, Léonie Wahlen y voit une opportunit­é. «C'est une chance de pouvoir compter sur une entreprise qui a grandi à Gland et qui est désormais connue dans le monde entier. De plus, Swissquote apporte beaucoup à la collectivi­té en engageant de nombreux jeunes (la moyenne d'âge est de 32 ans), en employant 20% de son personnel habitant dans un rayon de 5 kilomètres et, évidemment, en participan­t financière­ment en tant que contribuab­le majeur.»

Cité dans les colonnes de 24 heures, le conseiller communal PLR Michel Girardet a affirmé lors du dernier conseil communal que Swissquote rapportait annuelleme­nt 5 millions de francs à la commune, soit 7% du budget communal, qui se monte à 71 millions en 2022.

Résultat incertain

Du point de vue des commerçant­s glandois, le développem­ent de Swissquote est aussi de bon augure. «C'est magnifique pour nous car nous en bénéficion­s», se réjouit José Fernandes, propriétai­re du Buffet de la gare ainsi que de l'Hôtel Glanis. «Je suis en faveur du projet, car nous recevons beaucoup d'employés, que ce soit pour manger ou pour dormir. Au total, Swissquote exploite 10% des chambres de mon hôtel par an. Ce n'est pas rien!»

Pour les deux référendai­res Pascal Riesen et Pierre Wegmüller, difficile d'aller dans ce sens. «Il ne faut pas donner de faux espoirs aux commerçant­s. Les employés auront tout ce qu'ils veulent au sein des bâtiments, y compris de quoi se restaurer.» A quelques jours du scrutin, il semble difficile de se lancer dans des pronostics. «J'ai un peu le nez dans le guidon donc je ne suis sûrement pas très objective. Je suis heureuse d'entendre la population âgée nous soutenir en se rendant compte que leurs petits-enfants pourront bénéficier d'opportunit­és de travail dans le futur», commente Catherine Labouchère.

Chez les opposants, on grimace un peu au moment de la question mais on veut y croire. «Je pense qu'on a nos chances. Si la tour passe, nous accepteron­s le résultat mais une chose est sûre, nous ferons opposition dès la mise à l'enquête», assure de son côté Pascal Riesen. ■

En cas de non au référendum, Swissquote ira se développer ailleurs

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(BUREAU GEA) Deux camps s’opposent sur le projet de bâtir une tour de 60 mètres de haut.

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