La géothermie en Suisse veut accélérer son déploiement
La chaleur souterraine, locale et propre, peut totalement remplacer le gaz russe, importé et polluant. Mais les conditions-cadres pour assurer l’essor de cette solution souvent abordable font défaut, pointe une association du secteur. Etat des lieux
«La géothermie peut remplacer intégralement le gaz de Poutine.» Voici ce qu’a annoncé début mai Géothermie-Suisse. La faîtière signale que cette source d’énergie n’engendre aucune émission de CO2, qu’elle est locale et disponible en tout temps et qu’elle peut créer des emplois. Il est «irresponsable et incompréhensible» de laisser inexploité ce «réservoir sous nos pieds» vu le contexte climatique et géopolitique, mais il faut de «la volonté politique pour cela», tonne l’association qui réunit de nombreux membres du secteur.
La chaleur engendrée par le gaz russe en Suisse représente 16 térawattheures (TWh), selon l’Office fédéral de l’énergie (OFEN). Or le potentiel de la géothermie exploitable sur sol helvétique pour la chaleur s’élève à 17 TWh par an, près d’un quart des besoins en chaleur, de 70 TWh, dont le pays aura besoin en 2050, selon Géothermie-Suisse.
Ces chiffres émanent d’une étude commanditée par les Services industriels de Genève (SIG) et publiée en 2020. Ils font référence en attendant les résultats d’un rapport, en cours d’élaboration, de l’OFEN. En 2020, le Conseil fédéral a accepté une motion lui demandant d’explorer le sous-sol suisse et de compléter ses «connaissances lacunaires» en la matière pour mieux exploiter ses ressources.
Commençons par des définitions. On prélève l’énergie géothermique, pour la convertir en chaleur ou en électricité, en captant l’eau ou la chaleur souterraine, à température constante toute l’année dès 15 mètres de profondeur. Elle augmente en Suisse de 30°C par kilomètre et atteint environ 160° à 5000 mètres sous terre.
La géothermie de faible profondeur exploite la chaleur à quelques centaines de mètres par le biais de sondes, dans lesquelles circule un fluide caloporteur, pour le chauffage ou, l’été, la climatisation des logements. La Suisse produit 4 TWh de chaleur par an et figure parmi les meilleurs pays au monde mais elle peut mieux faire, selon Géothermie-Suisse. Seize bâtiments exploitent une nappe phréatique à Bulle (FR), un quartier de Davos (GR) se chauffe ainsi. Les exemples abondent.
Tout le monde peut s’en faire une idée sur Chauffezrenouvelable.ch. Ce calculateur fédéral indique par exemple que pour un particulier genevois qui veut remplacer sa chaudière à mazout, opter pour une pompe à chaleur avec sonde géothermique figure parmi les solutions les moins chères à long terme et les plus neutres en CO2.
L’eau entre un et trois kilomètres sous la surface – de moyenne profondeur – n’est par contre guère exploitée, or elle peut chauffer ou fournir en électricité des quartiers ou des usines. La technologie est éprouvée depuis des décennies de Paris à Munich en passant par les Pays-Bas mais, en Suisse, seule une centrale à Riehen (BS) produit 0,2 TWh d’électricité par an depuis 1994. C’est sur ce créneau que le pays doit réagir, selon Géothermie-Suisse, car la géothermie de grande profondeur, à plus de 3 km sous terre, a beau être plus puissante, elle est aussi complexe, chère et pas toujours mature.
L’énergie souterraine peut-elle cela dit vraiment remplacer le gaz russe? On entre là dans un combat de chiffres: en 2020, le gaz a fourni 31,4 TWh en Suisse, selon l’OFEN, or 43% du gaz en Suisse est venu de Russie, selon l’industrie gazière. On peut donc estimer la part russe à 13,5 TWh (et non 16 TWh comme estimé plus haut). La géothermie, qui fournit 4 TWh par an, est donc loin de pouvoir se substituer au gaz russe. D’autant plus que, selon la Confédération, 74 TWh seront nécessaires en 2050 pour le chauffage immobilier, sanitaire et industriel, 4 TWh de plus qu’envisagé par Géothermie-Suisse. Tout repose donc sur le potentiel de la géothermie et de son déploiement.
Besoin d’études
Ce potentiel doit encore faire l’objet d’études mais tout indique que les chiffres cités par Géothermie-Suisse – 17 TWh en 2050 – font sens, selon sa présidente Nathalie Andenmatten Berthoud. «On sait qu’il y a de l’eau dans le sous-sol suisse mais on ne sait pas précisément où», dit-elle. D’où les études. Les SIG ont sondé le sous-sol genevois en 2021 pour mieux le cerner avant de forer. Le canton espère que la géothermie lui fournira 20% de ses besoins en chaleur en 2035.
«Les estimations de Géothermie-Suisse semblent être du bon ordre de grandeur», indique Marianne Zünd, porte-parole de l’OFEN. «Mais il n’existe pas de solution unique pour résoudre le problème du gaz. Dans la situation actuelle, le temps est un facteur clé et des solutions à court et à long terme doivent être recherchées», dit-elle.
Une perception négative freine l’essor du secteur. Un rapport diligenté après des tremblements de terre en 2020 près de Strasbourg a encore pointé début mai la responsabilité de la géothermie. De nouvelles solutions, comme celle de la start-up de l’EPFL Enerdrape, peuvent en même temps stimuler une géothermie sans forage.
Géothermie-Suisse demande de meilleures conditions-cadres, même si le secteur est déjà subventionné. «On doit pouvoir être mieux assuré financièrement si on fore et qu’on s’aperçoit qu’il n’y a pas assez d’eau souterraine», indique Nathalie Andenmatten Berthoud.
La Suisse, pour assurer son avenir, a besoin de toutes les forces renouvelables et leurs lobbies multiplient les appels à l’action, alors qu’à Berne on planche sur les lois sur l’énergie et sur l’approvisionnement en électricité. Dans un colloque à Yverdon en avril, des industriels ont jugé que le bois est sous-exploité et d’autres se désolent car il n’y a que 41 éoliennes dans le pays. Lundi, Greenpeace a jugé que l’énergie solaire est «la meilleure solution pour l’indépendance énergétique de la Suisse et le climat». L’ONG défend la mise en place rapide au niveau politique d’un développement du photovoltaïque, même s’il est intermittent, contrairement à la géothermie.
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«On doit pouvoir être mieux assuré financièrement si on fore et qu’on s’aperçoit qu’il n’y a pas assez d’eau souterraine» NATHALIE ANDENMATTEN BERTHOUD, PRÉSIDENTE DE GÉOTHERMIE-SUISSE