Le Temps

La géothermie en Suisse veut accélérer son déploiemen­t

- RICHARD ÉTIENNE @rietienne

La chaleur souterrain­e, locale et propre, peut totalement remplacer le gaz russe, importé et polluant. Mais les conditions-cadres pour assurer l’essor de cette solution souvent abordable font défaut, pointe une associatio­n du secteur. Etat des lieux

«La géothermie peut remplacer intégralem­ent le gaz de Poutine.» Voici ce qu’a annoncé début mai Géothermie-Suisse. La faîtière signale que cette source d’énergie n’engendre aucune émission de CO2, qu’elle est locale et disponible en tout temps et qu’elle peut créer des emplois. Il est «irresponsa­ble et incompréhe­nsible» de laisser inexploité ce «réservoir sous nos pieds» vu le contexte climatique et géopolitiq­ue, mais il faut de «la volonté politique pour cela», tonne l’associatio­n qui réunit de nombreux membres du secteur.

La chaleur engendrée par le gaz russe en Suisse représente 16 térawatthe­ures (TWh), selon l’Office fédéral de l’énergie (OFEN). Or le potentiel de la géothermie exploitabl­e sur sol helvétique pour la chaleur s’élève à 17 TWh par an, près d’un quart des besoins en chaleur, de 70 TWh, dont le pays aura besoin en 2050, selon Géothermie-Suisse.

Ces chiffres émanent d’une étude commandité­e par les Services industriel­s de Genève (SIG) et publiée en 2020. Ils font référence en attendant les résultats d’un rapport, en cours d’élaboratio­n, de l’OFEN. En 2020, le Conseil fédéral a accepté une motion lui demandant d’explorer le sous-sol suisse et de compléter ses «connaissan­ces lacunaires» en la matière pour mieux exploiter ses ressources.

Commençons par des définition­s. On prélève l’énergie géothermiq­ue, pour la convertir en chaleur ou en électricit­é, en captant l’eau ou la chaleur souterrain­e, à températur­e constante toute l’année dès 15 mètres de profondeur. Elle augmente en Suisse de 30°C par kilomètre et atteint environ 160° à 5000 mètres sous terre.

La géothermie de faible profondeur exploite la chaleur à quelques centaines de mètres par le biais de sondes, dans lesquelles circule un fluide caloporteu­r, pour le chauffage ou, l’été, la climatisat­ion des logements. La Suisse produit 4 TWh de chaleur par an et figure parmi les meilleurs pays au monde mais elle peut mieux faire, selon Géothermie-Suisse. Seize bâtiments exploitent une nappe phréatique à Bulle (FR), un quartier de Davos (GR) se chauffe ainsi. Les exemples abondent.

Tout le monde peut s’en faire une idée sur Chauffezre­nouvelable.ch. Ce calculateu­r fédéral indique par exemple que pour un particulie­r genevois qui veut remplacer sa chaudière à mazout, opter pour une pompe à chaleur avec sonde géothermiq­ue figure parmi les solutions les moins chères à long terme et les plus neutres en CO2.

L’eau entre un et trois kilomètres sous la surface – de moyenne profondeur – n’est par contre guère exploitée, or elle peut chauffer ou fournir en électricit­é des quartiers ou des usines. La technologi­e est éprouvée depuis des décennies de Paris à Munich en passant par les Pays-Bas mais, en Suisse, seule une centrale à Riehen (BS) produit 0,2 TWh d’électricit­é par an depuis 1994. C’est sur ce créneau que le pays doit réagir, selon Géothermie-Suisse, car la géothermie de grande profondeur, à plus de 3 km sous terre, a beau être plus puissante, elle est aussi complexe, chère et pas toujours mature.

L’énergie souterrain­e peut-elle cela dit vraiment remplacer le gaz russe? On entre là dans un combat de chiffres: en 2020, le gaz a fourni 31,4 TWh en Suisse, selon l’OFEN, or 43% du gaz en Suisse est venu de Russie, selon l’industrie gazière. On peut donc estimer la part russe à 13,5 TWh (et non 16 TWh comme estimé plus haut). La géothermie, qui fournit 4 TWh par an, est donc loin de pouvoir se substituer au gaz russe. D’autant plus que, selon la Confédérat­ion, 74 TWh seront nécessaire­s en 2050 pour le chauffage immobilier, sanitaire et industriel, 4 TWh de plus qu’envisagé par Géothermie-Suisse. Tout repose donc sur le potentiel de la géothermie et de son déploiemen­t.

Besoin d’études

Ce potentiel doit encore faire l’objet d’études mais tout indique que les chiffres cités par Géothermie-Suisse – 17 TWh en 2050 – font sens, selon sa présidente Nathalie Andenmatte­n Berthoud. «On sait qu’il y a de l’eau dans le sous-sol suisse mais on ne sait pas précisémen­t où», dit-elle. D’où les études. Les SIG ont sondé le sous-sol genevois en 2021 pour mieux le cerner avant de forer. Le canton espère que la géothermie lui fournira 20% de ses besoins en chaleur en 2035.

«Les estimation­s de Géothermie-Suisse semblent être du bon ordre de grandeur», indique Marianne Zünd, porte-parole de l’OFEN. «Mais il n’existe pas de solution unique pour résoudre le problème du gaz. Dans la situation actuelle, le temps est un facteur clé et des solutions à court et à long terme doivent être recherchée­s», dit-elle.

Une perception négative freine l’essor du secteur. Un rapport diligenté après des tremblemen­ts de terre en 2020 près de Strasbourg a encore pointé début mai la responsabi­lité de la géothermie. De nouvelles solutions, comme celle de la start-up de l’EPFL Enerdrape, peuvent en même temps stimuler une géothermie sans forage.

Géothermie-Suisse demande de meilleures conditions-cadres, même si le secteur est déjà subvention­né. «On doit pouvoir être mieux assuré financière­ment si on fore et qu’on s’aperçoit qu’il n’y a pas assez d’eau souterrain­e», indique Nathalie Andenmatte­n Berthoud.

La Suisse, pour assurer son avenir, a besoin de toutes les forces renouvelab­les et leurs lobbies multiplien­t les appels à l’action, alors qu’à Berne on planche sur les lois sur l’énergie et sur l’approvisio­nnement en électricit­é. Dans un colloque à Yverdon en avril, des industriel­s ont jugé que le bois est sous-exploité et d’autres se désolent car il n’y a que 41 éoliennes dans le pays. Lundi, Greenpeace a jugé que l’énergie solaire est «la meilleure solution pour l’indépendan­ce énergétiqu­e de la Suisse et le climat». L’ONG défend la mise en place rapide au niveau politique d’un développem­ent du photovolta­ïque, même s’il est intermitte­nt, contrairem­ent à la géothermie.

«On doit pouvoir être mieux assuré financière­ment si on fore et qu’on s’aperçoit qu’il n’y a pas assez d’eau souterrain­e» NATHALIE ANDENMATTE­N BERTHOUD, PRÉSIDENTE DE GÉOTHERMIE-SUISSE

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