La neutralité au service de la sécurité de la Suisse
En s’attaquant à l’Ukraine, la Russie enfreint toutes les règles fondamentales du droit international. En réaction, la décision du Conseil fédéral de reprendre les sanctions internationales est à saluer: la Suisse s’est ainsi positionnée du côté du droit international. La décision a toutefois parfois été mal comprise dans notre pays et à l’étranger: un revirement total de la politique de neutralité helvétique a été évoqué, voire un abandon de celle-ci. Si le Conseil fédéral peine à rendre sa politique compréhensible, il est néanmoins important que la population la comprenne. Il n’y a certes guère de principe suisse qui rencontre un soutien aussi élevé que la neutralité, mais sa définition fait débat. Sur cette question, le Conseil fédéral devrait très rapidement présenter sa politique basée sur le droit actuel et clarifier les critères qui le guideront à l’avenir. Concrètement, la neutralité suisse doit s’orienter selon trois points de repère: le droit de la neutralité, les valeurs communes et le droit international.
La politique de neutralité de la Suisse n’a cessé d’évoluer au cours de l’histoire. Cependant, la «neutralité absolue», parfois revendiquée, n’a jamais existé. Son interprétation s’est toujours faite en fonction des réalités politiques et selon les intérêts stratégiques de la Suisse. Si notre pays profite du parapluie de sécurité de l’OTAN, une adhésion n’est pas à l’ordre du jour en raison du droit de la neutralité. Il est cependant clair que la Suisse devrait renforcer sa coopération avec l’OTAN. En effet, agir sur la base d’intérêts communs, de valeurs et de normes partagées entre démocraties occidentales n’est pas une contradiction, mais un renforcement de l’autonomie en matière de politique de sécurité. Une neutralité rigide vis-à-vis de ceux qui violent le droit international saperait également le fondement et l’acceptation de cette même neutralité.
Lorsqu’une démocratie est attaquée par un Etat totalitaire en violation du droit international, la Suisse doit être solidaire avec le pays touché. Nous devons réagir lorsque nos propres valeurs et intérêts sont menacés et que le droit international est bafoué. Cela signifie que nous nous associons aux sanctions de nos partenaires occidentaux. Le coeur de notre neutralité, selon les Conventions de La Haye, reste en tout cas intact: il s’agit du concept militaire de «neutralité armée», qui interdit à l’Etat neutre de déclencher une guerre, de mettre des troupes à la disposition des pays belligérants ou de leur fournir du matériel de guerre. Mais la neutralité doit aussi pouvoir être défendue et notre territoire ne doit être utilisé abusivement par aucune partie belligérante.
Si la Suisse veut que les valeurs du monde libre l’emportent dans le conflit entre démocraties et régimes autoritaires, elle doit se comporter en conséquence. Le droit de la neutralité exclut les livraisons d’armes directes ou légitimées par l’Etat à des pays en guerre. Le reste est une question de courage et de leadership politique. La Suisse ne devrait pas empêcher la réexportation d’armes suisses entre Etats démocratiques, à moins qu’il ne s’agisse d’un contournement de notre neutralité. En outre, une aide humanitaire et une aide au développement doivent être fournies. La Suisse a besoin d’une politique étrangère et de sécurité qui exploite la marge de manoeuvre de la neutralité. En effet, notre sécurité et notre liberté ne peuvent aujourd’hui être garanties que dans le cadre d’une association de pays démocratiques et dans le cadre du droit international. Cela implique une compréhension claire et flexible de la neutralité, sans violation de son noyau juridique.
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Nous devons réagir lorsque nos propres valeurs et intérêts sont menacés et que le droit international est bafoué