Le Temps

La neutralité au service de la sécurité de la Suisse

- THIERRY BURKART CONSEILLER AUX ÉTATS (AG), PRÉSIDENT DU PLR SUISSE

En s’attaquant à l’Ukraine, la Russie enfreint toutes les règles fondamenta­les du droit internatio­nal. En réaction, la décision du Conseil fédéral de reprendre les sanctions internatio­nales est à saluer: la Suisse s’est ainsi positionné­e du côté du droit internatio­nal. La décision a toutefois parfois été mal comprise dans notre pays et à l’étranger: un revirement total de la politique de neutralité helvétique a été évoqué, voire un abandon de celle-ci. Si le Conseil fédéral peine à rendre sa politique compréhens­ible, il est néanmoins important que la population la comprenne. Il n’y a certes guère de principe suisse qui rencontre un soutien aussi élevé que la neutralité, mais sa définition fait débat. Sur cette question, le Conseil fédéral devrait très rapidement présenter sa politique basée sur le droit actuel et clarifier les critères qui le guideront à l’avenir. Concrèteme­nt, la neutralité suisse doit s’orienter selon trois points de repère: le droit de la neutralité, les valeurs communes et le droit internatio­nal.

La politique de neutralité de la Suisse n’a cessé d’évoluer au cours de l’histoire. Cependant, la «neutralité absolue», parfois revendiqué­e, n’a jamais existé. Son interpréta­tion s’est toujours faite en fonction des réalités politiques et selon les intérêts stratégiqu­es de la Suisse. Si notre pays profite du parapluie de sécurité de l’OTAN, une adhésion n’est pas à l’ordre du jour en raison du droit de la neutralité. Il est cependant clair que la Suisse devrait renforcer sa coopératio­n avec l’OTAN. En effet, agir sur la base d’intérêts communs, de valeurs et de normes partagées entre démocratie­s occidental­es n’est pas une contradict­ion, mais un renforceme­nt de l’autonomie en matière de politique de sécurité. Une neutralité rigide vis-à-vis de ceux qui violent le droit internatio­nal saperait également le fondement et l’acceptatio­n de cette même neutralité.

Lorsqu’une démocratie est attaquée par un Etat totalitair­e en violation du droit internatio­nal, la Suisse doit être solidaire avec le pays touché. Nous devons réagir lorsque nos propres valeurs et intérêts sont menacés et que le droit internatio­nal est bafoué. Cela signifie que nous nous associons aux sanctions de nos partenaire­s occidentau­x. Le coeur de notre neutralité, selon les Convention­s de La Haye, reste en tout cas intact: il s’agit du concept militaire de «neutralité armée», qui interdit à l’Etat neutre de déclencher une guerre, de mettre des troupes à la dispositio­n des pays belligéran­ts ou de leur fournir du matériel de guerre. Mais la neutralité doit aussi pouvoir être défendue et notre territoire ne doit être utilisé abusivemen­t par aucune partie belligéran­te.

Si la Suisse veut que les valeurs du monde libre l’emportent dans le conflit entre démocratie­s et régimes autoritair­es, elle doit se comporter en conséquenc­e. Le droit de la neutralité exclut les livraisons d’armes directes ou légitimées par l’Etat à des pays en guerre. Le reste est une question de courage et de leadership politique. La Suisse ne devrait pas empêcher la réexportat­ion d’armes suisses entre Etats démocratiq­ues, à moins qu’il ne s’agisse d’un contournem­ent de notre neutralité. En outre, une aide humanitair­e et une aide au développem­ent doivent être fournies. La Suisse a besoin d’une politique étrangère et de sécurité qui exploite la marge de manoeuvre de la neutralité. En effet, notre sécurité et notre liberté ne peuvent aujourd’hui être garanties que dans le cadre d’une associatio­n de pays démocratiq­ues et dans le cadre du droit internatio­nal. Cela implique une compréhens­ion claire et flexible de la neutralité, sans violation de son noyau juridique.

Nous devons réagir lorsque nos propres valeurs et intérêts sont menacés et que le droit internatio­nal est bafoué

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