Le Temps

Marchés publics: le «Swiss finish» a encore frappé!

- MARIE-HÉLÈNE MIAUTON mh.miauton@bluewin.ch

Il y a une guerre aux marches de l’Europe, avec son lot de malheurs, d’incertitud­es et de bouleverse­ments géopolitiq­ues. Suite aux années de pandémie, des difficulté­s d’approvisio­nnement mettent à mal nos économies et laissent présager de graves problèmes alimentair­es dans le monde. Simultaném­ent, l’inflation réapparaît, les taux d’intérêt remontent, touchant au pouvoir d’achat des population­s. L’époque n’est pas de tout repos, c’est le moins qu’on puisse dire!

Et pourtant, le Conseil national ne trouve rien de mieux à faire que d’accepter largement une motion visant à ajouter de nouvelles contrainte­s aux procédures, déjà lourdes, concernant les marchés publics. On peut y voir la conséquenc­e néfaste de la quasi-disparitio­n des entreprene­urs au sein du législatif suisse. En effet, la loi sur les marchés publics, dans sa mouture entrée en vigueur le 1er janvier 2021, ne compte pas moins de 44 pages en petits caractères, et 63 articles. Sauf insomnie tenace, je vous en déconseill­e fortement la lecture, à la fois rébarbativ­e et édifiante quant aux capacités administra­tives de couper les cheveux en quatre (tétrapilec­tomie pour les pédants).

A l’origine, il s’agissait de poursuivre quelques buts légitimes: l’économicit­é des dépenses de l’Etat, la transparen­ce des adjudicati­ons, l’égalité de traitement entre les entreprise­s et la lutte contre la corruption. En résumé, empêcher des fonctionna­ires peu scrupuleux de soigner leurs petits copains, en empochant au passage quelques avantages matériels. Ce n’est pas sympathiqu­e de les en soupçonner capables mais, l’humain étant ce qu’il est, il valait mieux prévenir que guérir. Pourtant, il n’est pas certain que le but initial poursuivi soit toujours atteint, car les critères de choix sont très (trop) nombreux et leur pondératio­n respective laissée à l’appréciati­on de l’adjudicate­ur.

Toujours est-il que, comme toujours, les normes originelle­s n’ont cessé de se compliquer au gré d’accords signés avec l’Organisati­on mondiale du travail ou avec l’Union européenne. Dès lors, répondre à un appel d’offres soumis à la loi sur les marchés publics est devenu un véritable parcours du combattant. Or, cette procédure s’impose dès un montant de 230 000 francs, ce qui est peu de nos jours.

De nombreuses PME, dont on nous serine à longueur de discours qu’elles représente­nt la richesse du terreau économique suisse, étouffent sous la paperasser­ie qui est exigée d’elles et soumission­ner est de plus en plus chronophag­e et coûteux (ce n’est évidemment pas rémunéré). Autant elles jugent normal de décrire rigoureuse­ment leurs prestation­s et la qualité d’icelles, de donner les garanties de compétence­s nécessaire­s, de détailler les prix pratiqués, autant elles s’exaspèrent à remplir des pages et des pages de blabla sur leur politique salariale, leurs mesures pour tenir compte les différence­s ou pour empêcher le harcèlemen­t sexuel, sur leur sensibilit­é environnem­entale et j’en passe. Les documents à fournir reflètent désormais toutes les manies de la société, au point qu’on en oublie parfois l’essentiel.

Malgré tout, le Conseil national veut ajouter à ce fatras d’exigences celle de respecter en outre les principes de convention­s internatio­nales que la Suisse n’a pas ratifiées! Au lieu de poursuivre des buts idéologiqu­es, il ferait mieux de faire confiance aux fonctionna­ires qui ne sont jamais tout seuls à décider de gros budgets et qui connaissen­t les compétence­s de leurs interlocut­eurs sur le marché. Et, pour couper court aux abus, il suffirait d’instaurer un système de contrôles aléatoires. Mais, ce bon sens là fait aujourd’hui défaut et, en rajoutant des chicanes aux chicanes, on nuit aux petites entreprise­s performant­es au bénéfice de grands groupes bardés de juristes, on détruit la créativité, on alourdit les transactio­ns, on déresponsa­bilise les partenaire­s.

Les entreprene­urs en ont marre de ce «Swiss finish» tatillon, le Conseil national devrait s’en souvenir. ■

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