Marchés publics: le «Swiss finish» a encore frappé!
Il y a une guerre aux marches de l’Europe, avec son lot de malheurs, d’incertitudes et de bouleversements géopolitiques. Suite aux années de pandémie, des difficultés d’approvisionnement mettent à mal nos économies et laissent présager de graves problèmes alimentaires dans le monde. Simultanément, l’inflation réapparaît, les taux d’intérêt remontent, touchant au pouvoir d’achat des populations. L’époque n’est pas de tout repos, c’est le moins qu’on puisse dire!
Et pourtant, le Conseil national ne trouve rien de mieux à faire que d’accepter largement une motion visant à ajouter de nouvelles contraintes aux procédures, déjà lourdes, concernant les marchés publics. On peut y voir la conséquence néfaste de la quasi-disparition des entrepreneurs au sein du législatif suisse. En effet, la loi sur les marchés publics, dans sa mouture entrée en vigueur le 1er janvier 2021, ne compte pas moins de 44 pages en petits caractères, et 63 articles. Sauf insomnie tenace, je vous en déconseille fortement la lecture, à la fois rébarbative et édifiante quant aux capacités administratives de couper les cheveux en quatre (tétrapilectomie pour les pédants).
A l’origine, il s’agissait de poursuivre quelques buts légitimes: l’économicité des dépenses de l’Etat, la transparence des adjudications, l’égalité de traitement entre les entreprises et la lutte contre la corruption. En résumé, empêcher des fonctionnaires peu scrupuleux de soigner leurs petits copains, en empochant au passage quelques avantages matériels. Ce n’est pas sympathique de les en soupçonner capables mais, l’humain étant ce qu’il est, il valait mieux prévenir que guérir. Pourtant, il n’est pas certain que le but initial poursuivi soit toujours atteint, car les critères de choix sont très (trop) nombreux et leur pondération respective laissée à l’appréciation de l’adjudicateur.
Toujours est-il que, comme toujours, les normes originelles n’ont cessé de se compliquer au gré d’accords signés avec l’Organisation mondiale du travail ou avec l’Union européenne. Dès lors, répondre à un appel d’offres soumis à la loi sur les marchés publics est devenu un véritable parcours du combattant. Or, cette procédure s’impose dès un montant de 230 000 francs, ce qui est peu de nos jours.
De nombreuses PME, dont on nous serine à longueur de discours qu’elles représentent la richesse du terreau économique suisse, étouffent sous la paperasserie qui est exigée d’elles et soumissionner est de plus en plus chronophage et coûteux (ce n’est évidemment pas rémunéré). Autant elles jugent normal de décrire rigoureusement leurs prestations et la qualité d’icelles, de donner les garanties de compétences nécessaires, de détailler les prix pratiqués, autant elles s’exaspèrent à remplir des pages et des pages de blabla sur leur politique salariale, leurs mesures pour tenir compte les différences ou pour empêcher le harcèlement sexuel, sur leur sensibilité environnementale et j’en passe. Les documents à fournir reflètent désormais toutes les manies de la société, au point qu’on en oublie parfois l’essentiel.
Malgré tout, le Conseil national veut ajouter à ce fatras d’exigences celle de respecter en outre les principes de conventions internationales que la Suisse n’a pas ratifiées! Au lieu de poursuivre des buts idéologiques, il ferait mieux de faire confiance aux fonctionnaires qui ne sont jamais tout seuls à décider de gros budgets et qui connaissent les compétences de leurs interlocuteurs sur le marché. Et, pour couper court aux abus, il suffirait d’instaurer un système de contrôles aléatoires. Mais, ce bon sens là fait aujourd’hui défaut et, en rajoutant des chicanes aux chicanes, on nuit aux petites entreprises performantes au bénéfice de grands groupes bardés de juristes, on détruit la créativité, on alourdit les transactions, on déresponsabilise les partenaires.
Les entrepreneurs en ont marre de ce «Swiss finish» tatillon, le Conseil national devrait s’en souvenir. ■