Le Temps

La neutralité, instrument de paix

- KEVIN GRANGIER PRÉSIDENT DE L’UDC DU CANTON DE VAUD

La neutralité suisse est depuis toujours un instrument de paix qui a été confrontée à la médisance de détracteur­s pressés de rejoindre un camp (celui des vainqueurs) pour lutter victorieus­ement contre l’autre. La guerre en Ukraine n’échappe pas à ce constat alors même qu’abandonner la neutralité, c’est abandonner un instrument de paix. La neutralité suisse, celle fixée par le Congrès de Vienne en 1815, était à ce moment-là un instrument politique au service des équilibres nouveaux entre les grandes puissances européenne­s. Elle était moins la volonté de la Suisse de maintenir sa neutralité héritée des traités de Westphalie que la volonté des puissants Etats européens de neutralise­r (précisémen­t) ce petit Etat stratégiqu­e qui contrôle les cols alpins afin de maintenir des équilibres de paix entre eux.

L’existence de la neutralité est conditionn­ée à deux reconnaiss­ances: elle doit à la fois être demandée par l’Etat en question et être accordée internatio­nalement. La neutralité telle qu’elle a été voulue lors du Congrès de Vienne a été un gage de paix non seulement pour celles et ceux qui vivaient dans notre pays et qui ont du coup été épargnés par de nombreux confits et, en plus, elle a rendu possible le rayonnemen­t de la Genève internatio­nale ainsi que la politique des bons offices qui oeuvrent pour la paix dans le monde. A bien des égards, la neutralité suisse a prouvé qu’elle était bel et bien un instrument de paix.

A travers le temps, la réputation et la crédibilit­é de la neutralité suisse ont été universell­ement saluées et renforcées, si bien que notre pays est régulièrem­ent appelé à jouer un rôle décisif que seul lui peut valablemen­t jouer. De nombreuses avancées diplomatiq­ues et plusieurs accords de paix ont été rendus possibles grâce à notre neutralité unique au monde. Or, il semblerait bien que depuis la fin de la guerre froide et l’avènement de la mondialisa­tion la neutralité ne soit plus perçue – principale­ment en Suisse d’ailleurs – comme un instrument de paix. Pire, de plus en plus de politicien­s en Suisse évoquent la neutralité en prétendant qu’elle est une politique de lâches, et même un affront. Les plus extrémiste­s vont jusqu’à prétendre qu’en raison de sa neutralité la Suisse serait la complice des pires régimes et des plus affreux autocrates du monde.

C’est pourquoi le concept de «neutralité active» est soudaineme­nt apparu au début des années 2000 dans la bouche de plusieurs élus. Cet énoncé s’éloigne de la définition retenue depuis le Congrès de Vienne en profitant du fait que la neutralité suisse, bien que mentionnée, ne soit pas définie dans la Constituti­on fédérale. Ainsi, chacun peut s’approprier la neutralité et l’énoncé comme il l’entend. Puis arriva l’année 2022, qui marquera assurément un tournant: la Suisse s’est empressée de reprendre toute une série de sanctions décidées contre la Fédération de Russie et en plus notre pays est candidat à l’adhésion au Conseil de sécurité de l’ONU, qui est l’organe qui décide de la paix ou de la guerre dans le monde.

Depuis lors, de nombreux articles de presse à travers le monde qui font état, voire se réjouissen­t, de l’abandon de la neutralité et de la reprise des sanctions contre la Russie. Cette dernière a d’ailleurs classé la Suisse dans la liste des pays qui lui sont hostiles. Or, comme nous l’avons vu plus haut, pour pouvoir exister, la neutralité doit notamment être reconnue internatio­nalement. Ce n’est désormais plus le cas! Dans le meilleur des cas, l’histoire retiendra que la Suisse a sabordé son principal instrument de paix en 2022.

Il s’agit désormais de réparer ce qui a été sabordé. C’est pourquoi l’ancien conseiller fédéral Christoph Blocher a annoncé le lancement d’une initiative populaire visant à inscrire la définition historique de la neutralité dans la Constituti­on. Son lancement est annoncé d’ici à la fin de l’année. Si elle échoue, ce serait une mauvaise nouvelle pour la Suisse, pour le monde et pour la paix! ■

Au meilleur des cas, l’histoire retiendra que la Suisse a sabordé son principal instrument de paix en 2022

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