La Vaudoise aréna forcée à la transparence
A la suite d’une bataille en justice, le document nous a été transmis deux ans après sa rédaction. Le rapport, qui portait sur le climat de travail au sein du Centre sportif de Malley, confirme les manquements de la gouvernance de l’époque
Deux ans. C’est le temps qu’il nous aura fallu pour obtenir un rapport d’audit relatif au climat de travail au Centre sportif de Malley (CSM SA), qui gère les patinoires de la Vaudoise aréna, près de Lausanne. La démarche, entreprise avec Tamedia publications romandes, éditeur de 24 heures, a dû passer par la Cour de droit administratif et public. Dans un arrêt rendu en novembre, cette dernière conclut que la société anonyme CSM est investie d’une tâche publique, et donc soumise à la loi vaudoise sur l’information. Cela signifie que l’ensemble des documents et informations en sa possession sont publics, sauf exceptions. Une victoire durable pour la transparence dans le canton.
A l’exception de Jean-Jacques Schilt, qui a quitté la présidence du conseil d’administration l’an dernier, les noms des 28 personnes auditées ont été caviardés. La lecture du rapport, rendu en juin 2020, permet toutefois de se faire une idée assez large de la désorganisation, du manque de planification et de moyens qui ont débouché sur une crise majeure à la fin de l’année 2019, après l’inauguration de la patinoire et avant le lancement des Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ).
Gouvernance lacunaire
Outre des problèmes interpersonnels (le rapport est sévère envers certains employés et cadres de proximité), les témoignages recueillis pointent ainsi du doigt une gouvernance lacunaire, qui a voulu mener à bien le projet de construction et d’exploitation avec une équipe réduite et dans des délais intenables. Des signaux d’alarme ont été ignorés jusque dans les hautes sphères.
«J’ai rédigé un rapport avant Noël 2018 à l’attention du CSM en leur disant qu’il y avait à peu près 100% de chances que les aspects de sécurité ne soient pas garantis au moment de l’événement prévu [l’inauguration avec le Cirque du soleil en septembre 2019, ndlr]. C’est remonté jusqu’au Conseil d’Etat […]», relate un témoin. La date d’ouverture est pourtant maintenue par le conseil d’administration, alors que le spectacle sera annulé en catastrophe quelques mois plus tard.
La pression du Lausanne Hockey Club, locataire de la patinoire, et de ses relais politiques, est mentionnée par des personnes auditées. Elle aurait pesé dans la décision d’inaugurer la Vaudoise aréna alors que le bâtiment n’était pas terminé.
Sous-effectif et locaux inadaptés
Fin 2019, 11 collaborateurs – sur une vingtaine d’employés - avaient sollicité le Service de l’emploi en raison d’un climat de travail détérioré. Cinq personnes étaient parties en congé maladie et deux avaient démissionné. Elles dénonçaient une situation de sous-effectif, des locaux inadaptés et une attitude inappropriée de leur hiérarchie. Le syndicat Unia réclamait le départ du directeur ainsi que du président, Jean-Jacques Schilt, dont certains employés dénonçaient le comportement «paternaliste», «autoritaire» et «sexiste» – des accusations qu’il conteste. Plutôt que d’investiguer lui-même, le canton avait demandé au CSM de mandater un audit.
Le conseil d’administration du CSM, dont les principaux actionnaires sont les communes de Lausanne, Prilly et Renens, était alors composé en grande partie d’élus. Syndic socialiste de Lausanne à la retraite, JeanJacques Schilt avait été désigné en 2011 par la municipalité pour présider la structure et piloter la construction. Un engagement «bénévole» qui a largement dépassé ses projections, puisque le septuagénaire aurait été amené à travailler cinquante heures par semaine.
Les auteurs du document évoquent une charge «colossale» qui a été sous-estimée. Le directeur avait été recruté dans l’urgence en mai 2019 à la suite de la démission de son prédécesseur. Cité dans le rapport, il raconte: «A mon arrivée […], je trouve une équipe avec une cheffe de projet [qui aurait été engagée par Jean-Jacques Schilt sans compétences ni expérience dans le domaine, ndlr], avec un assistant, pour s’occuper de la construction d’un bâtiment à 235 millions. En face, il y a une entreprise générale avec une quarantaine de chefs de projet […].»
Dérapages et propos incongrus
Pointé du doigt par certains employés, le directeur (de même que le président) n’aurait pas eu de conduite «unilatéralement ou répétitivement abusive», selon les auteurs, qui relèvent toutefois pour le directeur certains dérapages, attitudes et propos incongrus «difficilement compréhensibles et acceptables sur un lieu de travail». Le cabinet d’audit analyse cela comme «une impatience ou une exaspération impliquées par une situation d’urgence face à l’échéance des JOJ».
En novembre 2019, à la suite d’échanges avec la Ville de Lausanne, le directeur aurait découvert «à sa grande surprise» qu’aucun comité local n’avait été mis en place pour les jeux, et que le CSM était donc «en charge de l’organisation». Quant à l’exploitation de la Vaudoise aréna, rien n’aurait été pensé en amont, «notamment en matière de sécurité, tri des déchets, nettoyage, exploitation d’un nouveau bâtiment».
Lors d’une conférence de presse organisée en 2020 à la suite de l’audit, le conseil d’administration avait réitéré sa confiance envers le président et le directeur, évoquant l’absence de «faute grave». Le premier a toutefois quitté ses fonctions un an plus tard, pour laisser la place à l’administratrice indépendante Samira Marquis. Le reste du conseil d’administration a été quasi entièrement renouvelé. Depuis l’audit, le CSM s’est doté d’un nouveau règlement, d’une direction des ressources humaines et de représentants du personnel.
Contactée, Samira Marquis ne commente pas le contenu du rapport, rendu un an avant son arrivée. «Nous avons pris acte du fait que nous sommes une entreprise de droit privé effectuant une tâche publique et avons organisé un séminaire sur la loi sur l’information», relève la présidente.
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