«Les hôpitaux universitaires ont porté la charge principale de la pandémie»
A l’entrée de l’Hôpital de l’île à Berne, un distributeur de masques rappelle que le virus du Covid-19 court toujours. Jeudi, les représentants des hôpitaux universitaires suisses se sont donné rendez-vous entre les murs de l’établissement de soins bernois pour dresser le bilan de deux ans de crise sanitaire. De janvier 2020 à avril 2022, les cinq institutions ont traité 21 890 personnes atteintes du covid, dont 3362 aux soins intensifs. Ils ont aussi réalisé 1,5 million de tests, administré 761 000 vaccins, et mené quelque 350 projets de recherche en lien avec le virus.
S’ils ont choisi la capitale pour communiquer, c’est aussi parce qu’ils avaient un message à adresser au Conseil fédéral: les cinq piliers du système de santé suisse sont en danger. Ils sont parvenus à gérer la pandémie. Mais cette dernière a eu des répercussions économiques «graves». Les charges supplémentaires dues à la pandémie s’élèvent à 352 millions de francs. Les pertes cumulées se montent quant à elles à 80 millions de francs. Les représentants du CHUV, des HUG, des hôpitaux universitaires de Bâle et de Zurich, ainsi que du groupe bernois Inselspital sonnent l’alarme: pour eux, les réformes de la santé en cours, à Berne, ne vont pas dans le bon sens. Entretien avec Philippe Eckert, directeur du CHUV.
Après deux ans de crise, vous exprimez votre mécontentement envers les réformes en cours dans le domaine de la santé. Qu’est-ce qui vous inquiète?
Il y a d’un côté la modification de l’ordonnance sur l’assurance maladie (article 59 de l’OAMal), qui prévoit un benchmarking unique pour tous les hôpitaux. Le problème vient du fait que l’on compare toutes les institutions de soin entre elles, sans tenir compte de leurs spécificités, pour établir un coût moyen des prestations. Puis on demande aux institutions de correspondre aux 25% les plus bas. Mais aussi le paquet de réformes qui fixe d’abord un objectif de coûts avant celui des prestations.
Pourquoi est-ce problématique?
Car les coûts sont très différents, par exemple entre un établissement spécialisé et les hôpitaux universitaires, qui doivent assurer un très large panel de prestations. Des urgences ouvertes 24h/24, par exemple, ne peuvent pas être rentables jour et nuit. Il y a forcément des moments de creux. Or cela fait partie du coeur de notre mission.
La collaboration entre les cinq établissements universitaires s’est intensifiée pendant la pandémie. De quelle façon?
Par des contacts fréquents, qui nous ont permis de prendre en charge les patients covid les plus graves. Les vagues n’ont pas touché au même moment l’est et l’ouest de la Suisse. Grâce à ces contacts directs, nous avons pu transférer une partie de nos patients vers les hôpitaux alémaniques en période de surcharge, en particulier durant la seconde vague.
Allez-vous mettre à profit ces contacts à l’avenir, une fois que la pandémie sera passée?
Nous continuons à nous battre ensemble pour que, dans le domaine des tarifs, les autorités fédérales tiennent en compte nos spécificités en tant qu’hôpitaux universitaires.
Vous profitez de la situation de crise pour porter vos revendications?
Nous avons formulé nos revendications au gré des consultations fédérales auxquelles nous avons répondu. Il est vrai cependant que la crise a mis en exergue la capacité des hôpitaux à faire face à une pandémie. Les hôpitaux universitaires ont porté la charge principale de la crise sanitaire, en traitant 41,5% des cas, surtout les plus lourds. Au CHUV, par exemple, nous sommes passés de 35 à 80 lits ouverts aux soins intensifs. Bien entendu, c’est notre rôle. Mais nous souhaitons que cela soit reconnu.
Jeudi, Journée internationale des infirmières, le personnel soignant manifestait à nouveau pour réclamer de meilleures conditions. Que leur dites-vous?
J’entends leurs revendications. Nous avons déjà pris un certain nombre de mesures dans ce sens. Au Centre hospitalier vaudois (CHUV), nous avons mis en place un système de remplacement automatique des congés maternité et des congés allaitement, pour ne pas surcharger le personnel durant ces périodes d’absence. Nous avons aussi relancé un projet de crèche pour fin 2023, avec un horaire adapté à ceux des soignants. Enfin, nous nous penchons sur la planification du travail, pour pouvoir mieux fixer les horaires.
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