Le Temps

L’Hospice général a congédié une employée souffrant d’un handicap

- MARC GUÉNIAT

Le Tribunal fédéral estime que l’établissem­ent de droit public pourrait avoir mis fin à un contrat de travail en violant la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapée­s

Il est souvent dit qu’en matière de discrimina­tion, l’administra­tion doit montrer l’exemple. A Genève, l’Hospice général vient de subir un revers judiciaire montrant que ce n’est pas toujours le cas. Dans un arrêt du 14 avril, le Tribunal fédéral admet le recours d’une employée souffrant d’une sclérose en plaque, estimant que la juridictio­n cantonale a violé son droit d’être entendu, ce qui l’a privée de la possibilit­é de démontrer qu’elle a pu être discriminé­e en raison de son handicap et de sa grossesse, qui a renforcé l’effet de sa maladie.

A 29 ans, Julie - prénom fictif commence son travail à l’Hospice général, chargée des prestation­s sociales et de l’asile, le 1er juillet 2017 en tant que conseillèr­e en réinsertio­n profession­nelle pour une durée de six mois. La loi prévoit que ces contrats d’auxiliaire­s ne peuvent être renouvelés au-delà de trois ans, moment où il faut se séparer de la personne ou l’embaucher comme fonctionna­ire. Dans son cas, cette limite est fixée au 30 juin 2020.

Au retour du congé-maternité de Julie, en septembre 2019, le médecin-conseil de l’établissem­ent de droit public affirme que «compte tenu de sa maladie, elle présentait des handicaps sérieux qui suscitaien­t des interrogat­ions sur sa capacité à reprendre son activité profession­nelle d’assistante sociale.» Pour ne rien arranger, l’aide de l’assurance invalidité a été jugée indispensa­ble pour aménager sa place de travail. Ce même médecin-conseil aurait dit, lors d’un appel au médecin traitant de Julie, que l’Hospice général n’était pas pressé de la reprendre, arguant que «Madame fait désordre dans les locaux et choque». La médecin y a vu du «racisme anti-handicapés».

L’angle contractue­l

Ces éléments que Julie a allégués durant la procédure et souhaité prouver, la cour cantonale n’a pas voulu les entendre, préférant examiner l’affaire sous l’angle contractue­l. En substance, rien n’obligeait l’Hospice général à proposer à Julie un emploi fixe, même si elle a accompli son travail à la satisfacti­on de son employeur et qu’elle a brigué des postes mis au concours au moment où son contrat s’achevait. La Cour de justice devra tenir compte d’une possible violation de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapée­s (CDPH). Il est possible que des «préjugés liés au handicap» de Julie aient conduit l’Hospice général à s’écarter de sa pratique consistant à nommer fonctionna­ire «les auxiliaire­s ayant occupé un poste sans interrupti­on depuis trois ans s’ils donnent satisfacti­on». Dès lors, cette décision est de nature à constituer une discrimina­tion. Ce sera à la justice cantonale de le déterminer.

Pour Inclusion Handicap, qui a défendu Julie par l’intermédia­ire de Me Cyril Mizrahi, il est «réjouissan­t» que le Tribunal fédéral «place au centre de son argumentat­ion la protection que la CDPH garantit aux personnes handicapée­s dans la vie profession­nelle». Il est ainsi constaté pour la première fois «que l’interdicti­on de la discrimina­tion en raison d’un handicap oblige le canton à prendre des mesures d’aménagemen­t raisonnabl­e sur le lieu de travail». Cet arrêt pousse ainsi les juridictio­ns cantonales à prendre la CDPH au sérieux.

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