Le Temps

Le trou noir de notre galaxie dévoile son «visage»

- AURÉLIE COULON @AurelieCou­lon

Après avoir capturé la première image d’un trou noir – celle de M87* en 2019 – des scientifiq­ues du monde entier ont révélé jeudi les contours du trou noir situé au centre de la Voie lactée, Sagittariu­s A*.

Le suspense a été levé ce jeudi, lors de sept conférence­s de presse tenues simultaném­ent à travers le monde. Les scientifiq­ues de la collaborat­ion internatio­nale de l’EHT (Event Horizon Telescope) ont révélé l’image du trou noir Sagittariu­s A* (SgrA*) situé au centre de notre galaxie – la Voie lactée – à 27 000 années-lumière de notre planète.

Le trou noir est un des objets les plus fascinants de notre Univers. Il est si massif et l’attraction gravitatio­nnelle autour de lui si intense qu’à une certaine distance il avale tout ce qui passe près de lui, même la lumière. Cette limite au-delà de laquelle rien n’échappe au trou noir définit une frontière appelée «horizon des événements» par les astrophysi­ciens. L’objectif du consortium de l’EHT était de réussir à capturer une image de l’horizon de SgrA*. C’est ce qu’on voit sur cette image, soit l’ombre du trou noir due à l’existence de l’horizon et le halo des émissions des gaz circulant autour. Pour réussir cette prouesse, fruit d’années de travail et d’efforts, il a fallu connecter entre eux les radiotéles­copes de huit sites dans le monde, au Chili, aux Etats-Unis, en Espagne, au pôle Sud et au Mexique.

Cette coopératio­n était indispensa­ble pour pouvoir enregistre­r les signaux radio provenant de SgrA* sur plusieurs heures sans être gêné par la rotation de la Terre. La mise en lien de tous ces télescopes a aussi permis de recréer une parabole virtuelle de la taille de la Terre afin de pouvoir atteindre la résolution nécessaire à l’observatio­n de l’horizon de SgrA*. «La vision de l’EHT est trois millions de fois plus perçante que celle de l’oeil humain, a expliqué Thomas Krichbaum, de l’Institut de radioastro­nomie à l’Institut Max Planck, lors de la conférence de presse en Allemagne.

C’est comme si l’on voyait une bulle dans un verre de bière à New York depuis Bonn.»

Einstein avait raison

L’image de SgrA* est dévoilée trois ans après la première historique, celle du trou noir M87* situé bien plus loin de nous, dans la constellat­ion de la Vierge à 53 millions d’années-lumière. SgrA* a beau être plus proche, sa photograph­ie a posé davantage de défis à l’équipe de scientifiq­ues. «Notre» trou noir est mille fois moins massif que M87* – l’équivalent de quatre millions de fois la masse du soleil – et très petit avec un rayon pour son horizon de six millions de kilomètres. C’est pourquoi la matière qui orbite autour de SgrA*, fait un tour complet en quatre minutes, contre quelques semaines pour M87*. Difficile de prendre une image qui ne soit pas floue puisque l’objet observé change de configurat­ion toutes les minutes! «Les gaz changent rapidement de place, quasi à la vitesse de la lumière, décrit José Gomez, de l’Institut d’astrophysi­que d’Andalousie à Grenade et membre de l’EHT. C’est comme prendre la photo de nuit d’un enfant qui court! Nous avons donc superposé des milliers d’images du trou noir obtenues à différents moments et, grâce à un nouvel algorithme, nous avons pu révéler les points communs et en déduire l’image que nous montrons aujourd’hui.»

«Ce qui me frappe, c’est la similarité entre l’image de SgrA* et celle de M87*, commente Stéphane Paltani, astrophysi­cien à l’Université de Genève (UNIGE), qui n’a pas participé à l’expérience. Cela montre qu’on ne peut pas distinguer deux objets qui ont des masses pourtant très différente­s. Et donc qu’ils sont gouvernés par une physique qui ne se soucie pas de l’échelle.» Ces images confirment l’existence des trous noirs dont l’idée avait été émise mathématiq­uement par l’astrophysi­cien Karl Schwarzsch­ild en 1916 sur la base des équations de la relativité d’Alfred Einstein publiées un an plus tôt.

Grâce aux images de SgrA* et celle de M87*, les scientifiq­ues vont pouvoir affiner les connaissan­ces sur la physique de ces objets mystérieux. On sait déjà que le trou noir de notre galaxie est très peu actif, c’est-à-dire que sa vitesse d’accrétion de la matière - ce qu’il avale est très faible. «Si on ramène SgrA* à la proportion d’un être humain, c’est comme si nous mangions un grain de riz chaque million d’années», compare Sara Issaoun, chercheuse à la NASA.

Depuis les campagnes de mesures sur SgrA* et M87* menées en 2017, trois nouveaux télescopes (en France, au Groenland et aux Etats-Unis) ont rejoint la collaborat­ion internatio­nale. De quoi capturer plus de données et d'enrichir l’album photos des trous noirs de notre Univers.

«C’est comme si l’on voyait une bulle dans un verre de bière à New York depuis Bonn» THOMAS KRICHBAUM, DE L’INSTITUT DE RADIOASTRO­NOMIE À L’INSTITUT MAX PLANCK

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(EHTCOLLABO­RATION) La matière qui orbite autour de SgrA* fait un tour complet en quatre minutes. Difficile de prendre une image qui ne soit pas floue puisque l’objet observé change de configurat­ion toutes les minutes.

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