Nessim Gaon, ancien roi de l’immobilier à Genève, est décédé
D’un côté, l’homme d’affaires propriétaire des Noga Hilton, ses succès et ses démêlés avec la justice. De l’autre, une personnalité active et généreuse dans la communauté juive en Suisse et en Israël. Il aurait aussi joué un rôle dans le rapprochement entre l’Etat hébreu et l’Egypte
Nessim Gaon s’est éteint le 10 mai 2022 à Genève à l’âge de 100 ans. Cet homme dont la famille turque était installée en Egypte, est né à Khartoum, capitale du Soudan. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Nessim Gaon s’était engagé dans l’armée britannique au Caire. Il est arrivé à Genève en 1957.
Côté pile, Nessim Gaon était un redoutable homme d’affaires. Il a commencé par fonder son entreprise d’import-export, d’abord en Egypte, puis à Genève. Noga SA, un acronyme de son propre nom de famille, était d’abord spécialisée dans le commerce d’arachides et d’huile de grains de coton. La société connaît un grand succès et investit dans l’immobilier. L’homme se retrouve dans les années 1980 à la tête d’un empire dont le chiffre d’affaires est estimé à 4 milliards de francs. Nessim Gaon régnait alors sur son empire de main de maître jusqu’à être surnommé «le roi de l’immobilier» à Genève.
Nessim Gaon investit aussi dans l’hôtellerie. Dans ce domaine, son plus grand accomplissement est la construction du Noga Hilton, un cinq-étoiles avec vue sur le Léman, en 1980. Il s’installe à l’hôtel, qui devient le siège de toutes ses activités.
Noga Hilton vendu aux enchères
Malgré ses succès apparents, la vie de Nessim Gaon n’est de loin pas un long fleuve tranquille. Il se trouve impliqué dans plusieurs procès devant la justice genevoise. Lorsque la Banque cantonale de Genève se retrouve au bord de la faillite en 1992, le roi de l’immobilier est l’un de ses grands débiteurs. Ce dernier justifie sa situation en mettant en avant son litige avec la Fédération de Russie.
L’homme d’affaires affirmait qu’il avait signé en 1991 un contrat de troc «pétrole contre nourriture» portant sur 1,5 milliard de dollars. Mais il n’aurait pas reçu un seul kopeck en retour. En septembre 2004, Swissinfo rapporte que «chaque partie s’accusait mutuellement d’avoir rompu unilatéralement cet accord et que Nessim Gaon a tenté à maintes reprises de faire saisir ou bloquer des biens russes, y compris des avions Aeroflot à l’étranger.» Sans succès. Noga Hilton de Genève a finalement été vendu aux enchères en 2001, il deviendra le Kempinski, et désormais le Fairmont.
Nessim Gaon a été poursuivi pour «gestion fautive» et «banqueroute frauduleuse» par l’Etat de Genève dans le sillage de déboires de la BGGE. L’affaire avait été classée en 2004.
Personnalité influente
Le personnage avait aussi son côté face. Le financier était une personnalité influente et active dans la communauté juive en Suisse et en Israël. En 1972, il avait créé avec son épouse la synagogue séfarade Hekhal Haness à Genève. Il a aussi été vice-président du Congrès juif mondial. Dans un hommage publié jeudi, le Jerusalem Post écrit que «Nessim Gaon a soutenu plusieurs programmes d’aide visant à améliorer l’éducation séfarade dans la diaspora et de renforcer l’aide à l’éducation et au développement des séfarades d’Israël».
Le quotidien israélien décrit aussi le rôle de l’homme d’affaires genevois dans les coulisses de la diplomatie. «Ami proche de feu le premier ministre Menahem Begin, il avait servi d’intermédiaire et de médiateur entre l’Egypte et Israël, écrit le journal. Les négociations aboutiront au rapprochement entre les deux pays en 1977.»
Dans une interview accordée au Jerusalem Post en 1989, Gaon avait soutenu qu’il avait persuadé Menahem Begin de changer son opinion sur les Egyptiens. «Je lui ai dit que si un pays arabe concluait un accord de paix avec Israël, ce pays respecterait cet accord. Personne en Israël ne croyait que le président égyptien Anouar el-Sadate voulait sincèrement la paix. Le manque de confiance a créé un fossé. Ce qu’il fallait, c’était un petit coup de pouce pour le combler.»
Nessim Gaon aurait également joué un rôle important pour faciliter le dialogue entre Israël et le Soudan, en mettant l’accent sur les liens économiques. Dans un post Facebook, le président israélien Yitzhak Herzog lui rend hommage: «Nessim était fier des Juifs du Moyen-Orient, mais n’a malheureusement jamais pu visiter le cimetière juif du Soudan qu’il avait restauré». ■