Le Temps

A quand des pistes «trottinett­ables»?

- La chronique de Marie-Pierre Genecand

Elle était orange, avait de grosses roues aux pneus larges et, à cloche-pied sur son plateau, je poussais, poussais, sauf à la descente où alors, tout se mettait à trembler. Ma première trottinett­e ressemblai­t à celle de Caroline et ses amis, cette petite fille aux couettes blondes qui, dans les livres illustrés de Pierre Probst, vivait entourée d’animaux et rayonnait de joie et de santé. C’était la trottinett­e de l’évasion, des jeudis ensoleillé­s. Dans l’indolence des jours d’été, les adultes regardaien­t l’objet avec sympathie ou indifféren­ce. La trottinett­e ne créait pas de tempête.

Aujourd’hui, la trottinett­e exaspère plus qu’elle ne fascine. Elle est électrique, citadine, véloce. Et blesse, de plus en plus, celui ou celle qui la conduit, mais aussi piétons et cyclistes avec lesquels elle entre en collision. Légalement, elle ne peut pas dépasser les 20 km/h, uniquement sur la chaussée, mais certains modèles atteignent les 100. Les gendarmes veillent et sanctionne­nt, condamnant même à la démolition les plus fautives de ces «bombes». «La police n’hésite pas à mettre en fourrière les trotts plus rapides intercepté­es sur la voie publique, une amende à la clé. Les petites fusées, elles, finissent carrément à la casse», dit la Tribune de Genève dans un récent article.

Que penser de ce phénomène? D’un côté, en tant que cycliste non électrique, je soupire souvent derrière ces engins qui lambinent – toutes les e-trotts ne roulent pas à 20 km/h – mais semblent indépassab­les tant leur tracé est fantaisist­e et leur équilibre précaire. Je les scrute avec un mélange d’agacement et d’inquiétude, car leurs mini-roues offrent peu de prise sur le bitume et, souvent, à la faveur d’une bosse ou d’une faille, je redoute leur chute.

Leur silence aussi peut être traître. Regarder à gauche et à droite, puis devant et derrière avant de s’engager est plus que jamais l’unique parade pour prévenir le danger. Autant dire que, sur la chaussée, il faut être concentré comme dans un Super-G.

D’un autre côté, j’admire ce véhicule pour son aspect léger, stylé, flibustier. «Tu la prends partout. Si tu la plies, elle ne te coûte rien dans le train, et tu es rapidement d’un endroit à l’autre de Genève sans impact sur la planète puisqu’elle fonctionne à l’électrique.» Cet utilisateu­r ravi a raison. A côté des SUV et des 4x4, les e-trotts font figure de gazelles parmi les pachyderme­s. Je les salue pour cette discrétion ailée.

Alors, quoi? Que faire pour que les accidents, qui sont passés de 35 en 2020 à 85 en 2021, cessent leur funeste progressio­n? Inviter les conducteur­s et conductric­es de trottinett­es électrique­s à la prudence, évidemment. Porter un casque et des protection­s ne semble pas un luxe non plus.

Mais le mieux serait de réduire la place des voitures et des motos sur la chaussée et d’offrir cet espace ainsi gagné à ces nouveaux véhicules écologique­s et économique­s. Il s’agirait de leur créer un site propre à côté des vélos. Des pistes «trottinett­ables» à côté des pistes cyclables.

Genève étouffe, et l’Etat s’est engagé à réduire le trafic individuel motorisé de 40% d’ici à 2030. En plus de sécuriser le trafic, cet aménagemen­t contribuer­ait au respect de l’agenda.

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