Avec la Lex Netflix, Berne rejoint le club européen
L'adoption de la loi sur le cinéma a surpris par son ampleur. L'obligation de 30% d'oeuvres européennes entrera en force en Suisse comme dans tous les pays de l'UE. Berne rejoint aussi les 13 pays qui imposent une obligation d'investir
Et si le cinéma suisse devait beaucoup à Tschugger, Wilder ou Hors saison? Au stamm des partisans de la loi sur le cinéma, durant un dimanche radieux, les professionnels de la branche saluaient leur triomphe tout en reconnaissant que les séries diffusées ces temps par les chaînes de la SSR ont dû jouer leur rôle. De même que le succès de Neumatt, achetée par Netflix, preuve d’une dynamique en marche, comme «ce cinéma suisse qui rayonne», a souligné Alain Berset, heureux d’un vote «pour la diversité culturelle».
Avec 58,4% de voix favorables, la «Lex Netflix» a trouvé une issue plus heureuse que ne l’espéraient ses promoteurs. La campagne a été vive, elle a tourné aux montagnes russes: l’hypothèse du rejet est devenue crédible. Puis le oui a remonté la pente. Au point que dimanche matin, les référendaires ne se faisaient aucune illusion.
Pourquoi un si bon score?
Vice-président des Jeunes libéraux-radicaux, Alec von Barnekow veut nuancer: «Il est très rare de réussir le lancement d’un référendum pour les Jeunesses de partis, nous l’avons fait et avons obtenu un score dont nous n’avons pas à rougir.» Parmi les opposants, certains reconnaissaient que l’argument d’une hausse des prix des abonnements aux plateformes, alors même que Netflix vient de le faire, n’était pas le plus judicieux. Et Virginie Cavalli, coprésidente des Jeunes vert’libéraux, met en avant une «faible mobilisation des jeunes».
L’aventure de la «loi Netflix» a surtout constitué une grosse bourde pour le PLR, qui l’a largement approuvée aux Chambres, avant de décider de la rejeter… pour que, finalement, sa base fasse manifestement passer la loi, y compris dans des cantons alémaniques. «Nous avons lutté contre l’élite du parti», concède Alec von Barnekow. Le conseiller aux Etats vaudois Olivier Français, qui s’est engagé pour la loi, glisse que «le vote s’est joué dans les cantons, avec des élus qui se sont mobilisés. Nous avons mis en avant des arguments qui ont convaincu les indécis, en particulier sur le plan économique. On parle de très nombreuses PME. On voit les nouvelles séries, les films suisses qui vont à Cannes, mais il a fallu expliquer que tout cela nécessite des moyens.»
Dans les capitales régionales de l’audiovisuel, l’acceptation a été nuancée: triomphe à Genève avec 74%, oui modeste à Zurich (55%).
En tout cas, la campagne a permis à cette branche cinématographique souvent généreuse en polémiques et en tirs dans les pattes de se mobiliser d’une voix. «La branche s’est fédérée, elle en sort même grandie», assure Jean-Marc Fröhle, producteur du long métrage Olga ou de la série Quartier des banques.
Dans le paysage de l’UE
L’obligation de 30% d’oeuvres européennes, autant pour les TV que les plateformes de streaming, entrera en force en Suisse comme dans tous les pays de l’Union européenne (UE). Les services de vidéo en ligne ont toujours dit qu’ils ne s’y opposeraient pas. En outre, la Suisse rejoint le club des 13 pays européens qui imposent une obligation d’investir – dans certains, comme en Allemagne, il s’agit d’une taxe. Sous les taux élevés de France (20%) et d’Italie (15%), la Suisse, avec 4%, se situera plutôt dans le haut de la fourchette, certains pays s’arrêtant à 2,5% (l’Allemagne, pour les grands acteurs du marché) voire 1,5%, la Grèce. Là aussi, les gros opérateurs ne devraient pas broncher.
Dimanche, les lobbies des acteurs nationaux ou régionaux, les TV locales ou les chaînes privées de Suisse alémanique, ont évidemment «déploré» le résultat, et appelé à une mise en oeuvre qui ne crée par un «monstre bureaucratique». Olivier Français veut souligner le fait que «l’Office fédéral de la culture n’aura rien de plus à faire que de demander des bilans. Ce n’est pas une hausse de l’aide publique.»
Une difficulté viendra du fait que les diffuseurs, les plateformes par exemple, n’ont aucune présence en Suisse. Dans un premier temps en tout cas, les producteurs helvétiques devront composer avec les bureaux allemands, parisiens et italiens.
L’obligation d’investissement devrait apporter 18 millions à la branche, une petite majorité venant des TV étrangères à fenêtres publicitaires suisses, puis une part de Netflix, Amazon ou Disney. Ces entreprises seront libres d’agir, en achetant ou en coproduisant. Comme le marché est fragmenté, il ne s’agira pas de grosses sommes pour chaque projet. Les producteurs devront élaborer des tours de table complexes – ce qui se fait déjà, en particulier dans les coproductions telles que Hors saison. Jean-Marc Fröhle prévient: «On ne parle pas de dix séries et dix films par an… Mais c’est un apport bienvenu, d’autant que dans tous les pays qui pratiquent l’obligation d’investissement, on constate que les sommes dépassent le montant exigé par la loi.»
Demain, va-t-il taper à la porte de Netflix? «Nous le faisons déjà, mais nous passons toujours après tout le monde… Désormais, nous aurons une écoute, et le financement s’élargira. Pour une génération de créateurs qui ne se retrouvent pas forcément dans les registres de la SRF ou la RTS, ou qui ne sont pas reconnus par l’Office fédéral de la culture, il y aura une autre possibilité. Des démarches comme
Tschugger montrent qu’il ne faut pas pousser beaucoup, les talents sont là.» Tschugger, ou les volutes valaisannes qui auront fait passer une loi.
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