L’exécutif lausannois interpellé sur la reconnaissance faciale
Signée par plus de 10 000 personnes, une pétition demandant «l’interdiction de la surveillance biométrique de masse dans les villes» a été remise lundi au syndic Grégoire Junod. Une action que les pétitionnaires répéteront à Zurich mercredi
Sur la place de la Palud à Lausanne, les pétitionnaires de «Stop à la reconnaissance faciale» arrivent au bout de leur démarche lancée en novembre dernier. Inquiets de «l’utilisation croissante» de cette technologie dans l’espace public, ils ont remis lundi matin un texte demandant l’interdiction de cette «surveillance de masse» à Grégoire Junod, syndic de la ville.
Composée des organisations AlgorithmWatch Suisse, Amnesty International Suisse et Société Numérique, l’alliance a été soutenue par plus de 10 000 signataires. La pétition a été envoyée aux 20 plus grandes villes de Suisse, ainsi qu’aux chefs-lieux de cantons échappant à cette liste. Si le pèlerinage des pétitionnaires a commencé à Lausanne aujourd’hui, c’est qu’ils s’allient aux politiciens communaux ayant déjà déposé des interventions allant dans le sens d’une même interdiction à l’échelle de leur ville.
Dans le cas de Lausanne, la coalition s’est greffée au dépôt de la motion communale (sous forme de projet de règlement) souhaitant bannir l’usage des technologies de reconnaissance faciale et biométrique dans la vidéosurveillance. Porté par le conseiller communal lausannois Benoît Gaillard, le projet vise principalement à «expliciter la base légale qui est trop floue actuellement, et qui date d’un temps où ces nouvelles technologies n’existaient pas.»
«La police a besoin d’un cadre clair»
Porte-parole d’Amnesty International, Nadia Boehlen estime que les outils de reconnaissance faciale violent la sphère privée et dissuadent les gens d’exercer des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression ou la liberté de rassemblement. «C’est pourquoi nous voulons la faire interdire dans les villes, là où l’activité démocratique est la plus vivante, à travers les manifestations notamment», explique-t-elle.
En Suisse, les forces de police sont friandes de ces images qui leur facilitent la tâche lors de l’identification de potentiels suspects. Entre 2018 et 2020, les polices zurichoise et saint-galloise avaient ainsi recouru illégalement aux services du logiciel américain Clearview. «Malgré l’efficacité que peuvent leur amener ces technologies, je pense que les policiers seront les premiers à être preneurs d’un cadre non équivoque. Aujourd’hui, il manque des limites claires sur ce qui est légal ou pas», souligne Benoît Gaillard.
«Finalement, le but est de provoquer un large débat pour éviter que la reconnaissance faciale soit adoptée par saucissonnage, poursuit l’élu socialiste. Il faut absolument que l’opinion publique puisse se saisir de la question. Autrement, nous courons le risque que l’usage de cette technologie s’installe petit à petit dans les moeurs, sans contradiction, et que le réveil soit brutal dans une dizaine d’années.»
Pour le syndic de Lausanne Grégoire Junod, qui a réceptionné la pétition, «l’enjeu est très sensible, nous l’avons vu avec l’application Swiss-Covid». Citant l’exemple repoussoir de la Chine, l’élu municipal dit avoir conscience «d’une nécessité de réglementer ces questions pour éviter que la reconnaissance faciale ne devienne un outil de contrôle social.» Même si, pour l’heure, il n’existe aucune surveillance biométrique de masse en Suisse, le syndic estime qu’il faut agir «en amont», de manière à ce que, une fois n’est pas coutume, «la législation ait de l’avance sur la technologie». ■
«Il faut absolument que l’opinion publique puisse se saisir de la question» BENOÎT GAILLARD, CONSEILLER COMMUNAL (PS)