L’Allemagne en quête d’indépendance énergétique
Le ministre allemand de l’Economie, de l’Energie et du Climat, l’écologiste Robert Habeck met les bouchées doubles pour libérer son pays de sa dépendance au pétrole et au gaz russes. Pour rassurer ses concitoyens, il sillonne le pays
Robert Habeck est en mode action. Le vice-chancelier, par ailleurs ministre de l’Economie, de l’Energie et du Climat, est en poste depuis décembre à peine mais multiplie depuis des semaines les déplacements à travers l’Allemagne pour rassurer ses concitoyens quant aux conséquences de l’invasion de l’Ukraine sur l’économie du pays.
En ce lundi 16 mai, celui que l’on surnomme le «super-ministre» s’est rendu sur le site industriel de Leuna, en Saxe-Anhalt. Dans ce Land du centre du pays, une centaine d’entreprises spécialisées dans la chimie emploient près de 12000 salariés. «Ce n’est pas un mystère, l’industrie allemande, comme ici à Leuna, traverse un véritable bouleversement», reconnaît cet écologiste, en référence à la transition de son pays vers une économie neutre en carbone et aux conséquences de la guerre en Ukraine.
«L’industrie se prépare»
Le conflit a révélé une faiblesse de taille du système allemand, à savoir sa forte dépendance aux hydrocarbures russes, que Berlin tente de réduire à la vitesse grand V. «Oui, il y a des raisons de s’inquiéter mais pas d’avoir peur, lance Robert Habeck. L’industrie se prépare et nous le voyons tout particulièrement ici à Leuna.»
L’une des particularités de ce site industriel de 13 km², situé au sud de Halle, en ex-Allemagne de l’Est, est qu’il est le point d’arrivée du fameux oléoduc russe Druschba – qui signifie amitié. Inauguré à l’époque de la guerre froide, celui-ci fut le symbole de l’amitié entre le grand frère soviétique et la République démocratique d’Allemagne. Sur place, l’or noir est raffiné par le groupe français TotalEnergies qui approvisionne plus de 1300 stations-services dans la région. Or, en mars, dans la foulée de la guerre en Ukraine, Total a annoncé ne pas renouveler ses contrats avec Moscou et vouloir se libérer de sa dépendance russe d’ici la fin de l’année. «Leuna peut fonctionner sans le pétrole russe» s’est félicité Robert Habeck, jugeant l’année «décisive».
En pratique, la raffinerie de Leuna couvre désormais la moitié de ses besoins grâce à du pétrole livré par tankers au port polonais de Gdansk puis acheminé grâce à un pipeline existant. Les 50% restants sont en revanche plus complexes à couvrir, comme le reconnaît Total: «Nous nous fournissons sur le marché mondial où la concurrence est énorme actuellement», note Thomas Behrends, directeur général de Total-Energies pour la région. Quid toutefois des effets d’un embargo européen sur le pétrole russe qui entrerait en vigueur avant la fin de l’année? Le ministre allemand de l’Economie tente de rassurer les responsables de Total à Leuna: les réserves nationales de pétrole suffisent pour couvrir les besoins du pays durant trois mois. Au niveau national, l’or noir russe ne constitue plus que 12% des importations, contre 35% avant la guerre.
En quête d’alternatives
La question du gaz est en revanche plus complexe. «J’entends beaucoup d’enthousiasme concernant la vitesse à laquelle nous nous libérons du pétrole et du charbon russe mais la réalité concernant le gaz est brutale. L’Allemagne est une nation industrielle très dépendante du gaz russe», rappelle-t-il. Si en deux mois, le pays a fait passer de 55% à 35% la part de son gaz importé de Moscou, l’indépendance pourrait ne pas être atteinte avant 2024 alors que cet hydrocarbure est essentiellement employé pour le chauffage et par l’industrie.
Selon le gouvernement, un arrêt des livraisons pousserait le pays dans une récession avec des conséquences pour l’ensemble de l’Europe. «Si les livraisons venaient à s’arrêter, l’Allemagne et Leuna auraient un problème, reconnaît Robert Habeck sans ambages. Nous travaillons chaque jour pour éviter de tomber dans cette situation. Tant que je pourrai avoir mon mot à dire, nous n’aurons pas d’embargo irréfléchi», assuret-il.
A Leuna, le géant mondial du gaz industriel, Linde, qui gère un site de production d’hydrogène, sait ce qu’un tel scénario signifierait. «Le gaz que nous utilisons ici est un mix venu de plusieurs pays mais surtout de Russie, relève Jan Lämmerhirt, directeur du site. Un arrêt des livraisons signifierait une cessation de notre activité», ajoute-t-il. Sur les moyen et long termes toutefois, Linde dit se préparer à abandonner le gaz afin de produire de l’hydrogène entièrement vert.
Pour le vice-chancelier écologiste, Robert Habeck, l’exemple tombe à pic. «La dynamique de changement est réelle en Allemagne, s’enthousiasme-t-il. Le passage vers une économie écologique est en cours et s’accélère», estime-t-il, convaincu que le contexte international va donner un coup de fouet à un processus initié par la crise climatique. ■
«Oui, il y a des raisons de s’inquiéter mais pas d’avoir peur» ROBERT HABECK, MINISTRE ALLEMAND DE L’ÉCONOMIE, DE L’ÉNERGIE ET DU CLIMAT