Le Temps

«Après la chute, les obligation­s durables devraient rebondir»

Pour Johann Plé, gérant d’Axa IM, une star des fonds obligatair­es durables, si les cours ont baissé de 10% depuis le début de l’année, les fonds verts ont bien résisté

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

Les obligation­s n'ont pas joué leur traditionn­el rôle d'amortisseu­r lors de la baisse des actions en 2022. Un portefeuil­le obligatair­e diversifié a perdu 8,59% depuis le début de l'année sous l'effet de la hausse de l'inflation et des taux d'intérêt. Les obligation­s durables n'ont pas pu se soustraire à la tourmente. L'indice de référence des obligation­s vertes BofA Green Bond Hedged a même perdu 10,5% depuis le début janvier.

«C'est une opportunit­é d'achat sur ce marché qui devrait lever près de 600 milliards de dollars en 2022», déclare Johann Plé, responsabl­e des stratégies obligatair­es durables d'Axa IM et basé à Paris. Il gère l'un des fonds d'obligation­s vertes parmi les plus performant­s au cours des trois dernières années et est responsabl­e de 5,5 milliards d'euros d'actifs.

Un segment en expansion

Le développem­ent des obligation­s durables est récent. Axa IM a lancé son principal fonds d'obligation­s vertes en 2015. Il ne dépassait pas 80 millions d'euros en 2018, mais il atteint aujourd'hui 1,3 milliard d'euros, selon le gérant. Malgré la performanc­e très négative des premiers mois de l'année, les actifs sous gestion du principal fonds vert d'Axa IM sont stables. «Cela est très positif; si l'on considère le verre à moitié plein, c'est que les investisse­urs ont une approche à long terme sur ce segment, malgré un contexte particuliè­rement hostile à la prise de risque pour l'univers obligatair­e», juge Johann Plé.

Le gérant souligne l'intérêt croissant des investisse­urs pour cette catégorie d'actifs dont la capitalisa­tion boursière s'élève à 1650 milliards de dollars. Le volume d'émissions durables s'est d'ailleurs accru de 70% l'an dernier pour atteindre 714 milliards de dollars.

Les obligation­s durables ne manquent pas d'atouts, selon notre interlocut­eur. Elles offrent aujourd'hui un rendement supérieur à la moyenne des obligation­s. Il s'élève en effet à 1,5%, contre 0,95% pour l'ensemble des obligation­s. A terme, il est censé profiter de la tendance à la décarbonat­ion de l'économie et d'une pression réglementa­ire en faveur d'une transparen­ce accrue des investisse­ments.

Quelles sont les particular­ités des obligation­s durables?

La première est celle de la transparen­ce dans le financemen­t. L'investisse­ur sait exactement quels projets il finance. Via les obligation­s vertes, il peut ainsi soutenir le développem­ent d'énergies renouvelab­les, de transports propres ou la préservati­on de la biodiversi­té. Via les obligation­s sociales il peut soutenir l'emploi, l'accès à l'éducation, à la santé ou à des besoins de base. Cette transparen­ce accrue se traduit aussi par la mesurabili­té de l'impact de ces investisse­ments avec des indicateur­s clés comme les tonnes de CO2 évitées, par exemple, ou encore le nombre d'emplois créés.

Quelle est votre appréciati­on de la correction des obligation­s durables cette année?

La performanc­e négative résulte d'abord de la hausse des taux d'intérêt sur le plan mondial. Cela a plus significat­ivement impacté l'univers des obligation­s durables que celui des obligation­s convention­nelles, du fait d'une exposition aux marchés de taux principale­ment européen et américain (dont le rebond a été très fort). L'univers des obligation­s convention­nelles jouit d'une diversific­ation plus importante sur ce point (dont certains marchés ont été plus résilients, comme les taux japonais).

Existe-t-il d’autres raisons?

Le déclin des cours est aussi le reflet d'un écartement des primes de crédits, auquel l'univers durable est plus exposé que l'univers convention­nel. A titre individuel toutefois, nous n'avons pas constaté de différence­s majeures entre une obligation verte et une obligation convention­nelle d'un même émetteur, par exemple. J'ajouterais que les obligation­s vertes ont même fait preuve d'une plus grande résilience, ainsi qu'en témoigne le «gremium», c'est-àdire la différence de rendement des emprunts durables pour un même émetteur. Nous observons dernièreme­nt qu'en phase de correction et d'écartement des primes de risque, le «spread» s'est légèrement moins écarté pour les titres verts que pour leurs homologues convention­nels. Cela se traduit par un «gremium» en légère augmentati­on ces derniers mois. La raison ne tient pas à une différence de risque mais au fait que les investisse­urs ne sont pas les mêmes que pour les obligation­s traditionn­elles. Ils sont davantage orientés à long terme que la moyenne.

«La performanc­e négative des obligation­s durables résulte d’abord de la hausse des taux d’intérêt sur le plan mondial»

Quelle est votre stratégie en ce moment?

Nous avions débuté l'année avec une duration limitée. Nous étions ainsi moins sensibles à la hausse des taux directeurs. Dans la perspectiv­e d'une décélérati­on de la croissance, nous renforçons notre exposition à la duration. Le marché obligatair­e est l'endroit où l'investisse­ur doit être présent.

Quels sont vos choix en termes de secteurs?

Dans un contexte de potentiel ralentisse­ment de la conjonctur­e, nous adoptons une approche plus défensive et plus sélective sur le segment de la dette privée, même s'il offre aujourd'hui des valorisati­ons attractive­s. Aussi, nous considéron­s d'autres segments plus résilients en période de stress comme les dettes quasi souveraine­s (entités garanties par l'Etat ou collectivi­tés locales), qui offrent aujourd'hui un écart de rendement par rapport aux dettes souveraine­s particuliè­rement attractif et proche des plus hauts observés en 2008 lors de la crise des subprimes ou en 2010 lors de celle de la de la zone euro. ■

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