Etre juré pour redevenir enfant
UN AIR DE CROISETTE (1/12)
La conférence de presse du jury est le signe que le Festival de Cannes a vraiment commencé. Mardi après-midi, quelques heures avant une cérémonie d’ouverture animée par Virginie Efira, les neuf jurés 2022 sont venus dire, comme leurs prédécesseurs en 2021, en 2019 et les années d’avant, leur fierté et leur joie de s’être vu proposer cette tâche lourde de responsabilités, car un prix à Cannes peut avoir une influence déterminante sur la carrière d’un film.
On savait Vincent Lindon passionné et en effet, au moment de prendre la parole en tant que président du jury, il a tenté d’éviter les banalités de circonstance. Le voici qui dit d’emblée avoir compris comment aborder le rôle qui lui incombe: «Il faut redevenir le spectateur qu’on était enfant. Il s’agit de capter les émotions sans a priori, de les accueillir avec le coeur avant de les laisser remonter au cerveau.» Et de se lancer dans une analogie audacieuse: «J’ai essayé en partant de Paris de dévisser mon cerveau comme une ampoule. J’ai envie que ma tête soit vierge, j’ai envie d’aimer et d’accepter tous les cinémas du monde.»
Tout en voulant éviter d’être parasité par des idées préconçues, liées par exemple aux parcours des réalisateurs et réalisatrices, l’acteur est conscient que certains films qui font forte impression s’oublient vite, tandis que d’autres mettent du temps à mûrir. «On a le droit d’aimer le mardi, de moins aimer le jeudi et de re-aimer le samedi», résume-t-il. A ses côtés, le reste du jury acquiesce. Il y a là les actrices Rebecca Hall, Deepika Padukone, Noomi Rapace et Jasmine Trinca, ainsi que les réalisateurs Ladj Ly, Jeff Nichols, Joachim Trier et Asghar Farhadi. Seul celui-ci tempère l’enthousiasme de ses camarades: «La joie que je ressens n’est pas très profonde étant donné ce que traverse mon pays aujourd’hui. Les pressions économiques et politiques que subissent les Iraniens font que les perspectives sont sombres pour mon peuple.»
Le journaliste Didier Allouch, qui anime la conférence de presse, évoque alors «la guerre qui se déroule à trois heures d’ici». Changera-t-elle la perception des films? «Le monde dans lequel on vit change notre état d’être humain, mais il ne faut pas qu’il change notre regard, prévient Vincent Lindon. On ne va pas se dire que puisqu’il y a une guerre, on va regarder autrement tel sujet et telle manière de filmer ou de jouer. Il y a des films qui parlent du monde et d’autres non, et il ne faut pas les incriminer, sinon on n’aurait jamais eu Pulp Fiction…
Nous devons surtout être dignes et respectueux, nous tenir droit en hommage à ceux qui ont des jours plus compliqués que les nôtres.»