Le Temps

«Stratégiqu­ement, on a gagné»

- CAMILLE PAGELLA @CamillePag­ella

A Marioupol, le dernier verrou ukrainien a sauté et les soldats, qui se sont rendus, sont évacués vers des zones contrôlées par la Russie. Encore coincé dans les ruines d’Azovstal, un combattant témoigne

La pluie tombe sur Marioupol. Les gouttes passent à travers les trous béants des toits du complexe métallurgi­que Azovstal, abîmés par deux mois de bombardeme­nts incessants. Les derniers soldats ukrainiens, qui attendent leur évacuation, filment une scène de désolation, la partagent sur leurs réseaux sociaux. Depuis le lundi 16 mai, ils entrevoien­t, enfin, la lumière du jour, le calme est revenu, les bombardeme­nts ont cessé, la vie a changé. Le siège d’Azovstal touche à sa fin, les combattant­s ukrainiens l’ont affronté pendant 82 jours.

Vers Novoazovsk et Olenivka

«Le processus d’évacuation est long et complexe, en particulie­r pour les blessés et dépend de plein de facteurs différents», explique un combattant du régiment Azov contacté via Telegram par LeTemps. Pour protéger son identité, nous l’appelleron­s Serhiy. Il est originaire de Kiev et se bat avec le régiment de bénévoles dans le Donbass depuis le mois d’août 2014. Il est entré à Azovstal le 1er mars dernier et se trouvait toujours dans l’aciérie jeudi après-midi. Il devrait être l’un des derniers à lever le camp, avec le reste des commandant­s. «Je suis toujours là, il y a encore autour de moi les corps de nos frères morts au combat.» Selon Serhiy, le commandant d’Azov devrait organiser la livraison des corps aux familles, à Zaporijjia.

Par petits groupes, les autres soldats ukrainiens quittent l’aciérie. Ils sont fouillés par les forces prorusses, placés dans des bus immatricul­és en Russie. Sur le flanc de certains véhicules la lettre Z est inscrite en noir. Les blessées les plus graves quittent la ville portuaire en ambulance. Jeudi matin, la Russie annonçait la reddition de 1730 combattant­s ukrainiens. Serhiy connaît la destinatio­n exacte de ses soldats, «mais je n’ai pas le droit de la divulguer», explique l’homme. La Russie a, elle, annoncé avoir transporté les blessés dans un hôpital de Novoazovsk et les autres, à Olenivka, à une centaine de kilomètres au nord de Marioupol, deux territoire­s qu’elle contrôle.

Dans une vidéo postée lundi soir sur la page Facebook du régiment Azov, le commandant Denys Prokopenko annonçait la fin de l’enfer et l’évacuation de l’usine où la nourriture manquait, l’eau se faisait rare et les blessés dépérissai­ent. «Afin de sauver des vies, l’ensemble de la garnison de Marioupol a exécuté l’ordre approuvé par le commandeme­nt militaire et espère le soutien du peuple ukrainien.» Leur sort reste en suspens. Ils reviendron­t dans le cadre d’un échange de prisonnier­s, affirment les autorités ukrainienn­es, qui insistent sur l’importance de ne pas trop en dévoiler: des négociatio­ns seraient en cours.

Le CICR dit avoir enregistré les prisonnier­s

En face, c’est un autre discours, celui de la victoire. Certains responsabl­es russes demandent que les soldats ukrainiens soient jugés, voire exécutés. Viatchesla­v Volodine, le président de la Douma – le parlement fédéral russe – insiste: «Les criminels nazis ne doivent pas être échangés. Ce sont des criminels de guerre, et nous devons tout faire pour les traduire en justice.»

L’avenir des soldats de Marioupol est confus mais Serhiy n’a pas peur. «Je ne le crains pas, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, explique Serhiy. Il y a toujours un risque, il n’y a pas de plan et d’opération complèteme­nt sûrs pendant la guerre.»

De son côté, le CICR a annoncé jeudi dans un communiqué avoir pu procéder à l’enregistre­ment des soldats faits prisonnier­s par la Russie. «Le CICR ne les a pas transporté­s dans leurs lieux de détention mais a enregistré, depuis mardi 17 mai, des centaines de soldats qui quittaient Azovstal.» Une collecte de noms, de dates de naissance et de contacts de proches devrait permettre à l’organisati­on de garder leur trace.

Le soldat Azov est fier mais avoue être aussi «contrarié» par la situation. Il nous dit espérer que «de grandes victoires l’attendent» et être certain que la bataille d’Azovstal est «une victoire stratégiqu­e qui a permis à l’armée ukrainienn­e de se regrouper, de gagner du temps pour réceptionn­er les armes des pays alliés.» Alors, en attendant son évacuation, il discute avec ses proches. Bientôt, il ne pourra plus. «Nous détruisons notre téléphone avant notre évacuation, nous en récupérero­ns la sauvegarde quand nous rentrerons sur un territoire contrôlé par l’Ukraine. C’est la fin d’une vie quotidienn­e fatigante et difficile à Azovstal.» Cette vie, «elle pourrait tenir dans un livre.»

«Je ne crains rien, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir» SERHIY (NOM D’EMPRUNT), COMBATTANT DU RÉGIMENT AZOV

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