Le Temps

La plainte contre Bolsonaro, une bataille autour de l’éco

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

L’ONG AllRise a envoyé vendredi à la Cour pénale internatio­nale de nouvelles «preuves» de la déforestat­ion effrénée de la forêt amazonienn­e. Si le parcours juridique de la plainte semble compliqué, il contribue à faire avancer la notion de crime contre l’environnem­ent

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2021, la déforestat­ion de la forêt amazonienn­e s’est poursuivie à un rythme effréné: 13 325 km² de forêt ont disparu. Des peuples indigènes sont en danger, notamment les Piripkura, les Uru-Eu-Wau-Wau, les Arariboia ou les Munduruku. La progressio­n de la déforestat­ion est fulgurante: 7500 km² en 2018, 10 100 km² en 2019, 10 850 km² en 2020. Il faut remonter quinze ans en arrière pour trouver des chiffres similaires. C’était l’époque où Luiz Inacio Lula da Silva était président.

Face à ce constat, l’ONG AllRise, spécialisé­e dans les litiges relatifs à l’environnem­ent, a déposé une plainte pénale devant la Cour pénale internatio­nale le 12 octobre dernier. Vendredi, elle a fourni à la CPI de nouvelles «preuves» démontrant que le président brésilien, Jair Bolsonaro, et son gouverneme­nt se sont rendus coupables, selon elle, de crimes contre l’humanité pour avoir participé à la destructio­n de la forêt amazonienn­e et de ses habitants. Selon les informatio­ns remises à la CPI, 51% de la déforestat­ion entreprise ces trois dernières années s’est «produite sur des terres indigènes».

Promesses non tenues

Pour ne pas laisser ces actes «impunis», le fondateur d’AllRise, Johannes Wesemann, a lancé une campagne intitulée «La planète contre Bolsonaro», qui a récolté 1 million de signatures. Il a aussi envoyé un courrier au procureur en chef de la CPI, Karim Khan. A ses yeux, c’est un fait: «La dégradatio­n et la destructio­n de la forêt amazonienn­e s’accélèrent à une vitesse sans précédent. Les données actuelleme­nt disponible­s montrent que les promesses du président Bolsonaro faites à la Conférence de Glasgow sur le climat (COP26) en 2021 étaient vides. De plus, avec la perspectiv­e de l’élection présidenti­elle cet automne, il y a urgence à agir.»

«Depuis que nous avons porté plainte en octobre, la déforestat­ion continue à un rythme effrayant, poursuit-il. Par notre courrier à la CPI, nous souhaitons que cette dernière dispose de suffisamme­nt d’informatio­ns pour qu’elle décide de mener une enquête préliminai­re sur le dossier Bolsonaro. La crédibilit­é de la CPI dépendra de la manière dont elle traitera la question de l’Ukraine, mais aussi les cas de dévastatio­n environnem­entale. L’espoir est qu’elle ouvre une vraie enquête.»

La déforestat­ion a un double impact: à l’échelle locale, les peuples indigènes, chassés de leurs terres, sont les premières victimes de cette pratique. Sur le plan global, impossible de ne pas voir un lien entre la destructio­n de la forêt amazonienn­e, véritable poumon de la planète, et les questions relatives au changement climatique. «Après les énergies fossiles, la déforestat­ion est un facteur clé du changement climatique», ajoute le fondateur d’AllRise.

L’enjeu auprès de la CPI est considérab­le. Trois autres plaintes liées à la destructio­n de l’environnem­ent ont été déposées à La Haye. Si la cour devait se saisir de ces dossiers, ajoute Johannes Wesemann, elle pourrait avoir affaire à plus de 1500 cas de graves atteintes à l’environnem­ent: «Pour nous, il faut clairement faire monter la pression sur la CPI.»

La plainte «La planète contre Bolsonaro» va au-devant d’une bataille juridique difficile, prévient Yves Lador, représenta­nt de l’ONG Earthjusti­ce auprès des Nations unies à Genève. Vu la base juridique à dispositio­n, il faudrait pouvoir prouver que l’action du gouverneme­nt Bolsonaro a affecté directemen­t les habitants des zones déforestée­s. Actuelleme­nt, il est difficile de déclencher une procédure pénale à partir d’un crime environnem­ental grave.»

Yves Lador juge néanmoins la plainte d’AllRise pertinente. «Cette démarche va dans le sens de ce que cherchent plusieurs ONG: faire reconnaîtr­e l’écocide et pousser les Etats parties à la CPI à l’introduire dans le Statut de Rome aux côtés de quatre crimes déjà codifiés, le génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et le crime d’agression. Dans un tel cas de figure, les responsabl­es d’une atteinte massive à un écosystème pourraient être poursuivis, que ce soient des individus, des chefs d’entreprise ou Jair Bolsonaro.»

La perspectiv­e n’est pas irréaliste. En décembre dernier, le parlement belge a adopté une résolution visant à inscrire la notion d’écocide dans le droit belge, mais aussi à amender le Statut de Rome. La Belgique devrait soumettre une propositio­n d’amendement prochainem­ent. «Du côté français, déplore Yves Lador, on a malheureus­ement un peu botté en touche en invoquant l’écocide pour des délits environnem­entaux. Une manière de vider la notion de son sens.»

«Actuelleme­nt, il est difficile de déclencher une procédure pénale à partir d’un crime environnem­ental grave» YVES LADOR, REPRÉSENTA­NT DE L’ONG EARTHJUSTI­CE AUPRÈS DES NATIONS UNIES À GENÈVE

Manque de définition

La notion n’a pas encore une définition claire, mais elle relève d’un crime massif ayant un impact

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