La Suisse ne veut pas limiter l’accueil des Ukrainiens
A l’heure du premier bilan sur l’accueil des réfugiés de guerre, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter et les gouvernements cantonaux estiment avoir rempli leur mission. Ils balaient l’idée, émise à droite, de n’octroyer le statut S de protection qu’aux ressortissants de l’est de l’Ukraine où se concentrent les combats armés
Le défi est énorme, mais les autorités l'ont globalement bien relevé. C'est l'avis de la Confédération et des cantons, qui se gratifient d'une note positive sur l'accueil des réfugiés ukrainiens, au moment de dresser un premier bilan trois mois après le début de la guerre. En deux mots, tout n'est pas parfait, mais l'essentiel fonctionne.
Quelque 50 000 réfugiés venus d'Ukraine ont trouvé un toit en Suisse, la moitié loge chez des privés, et environ 12 000 enfants ont été intégrés par les écoles. L'écrasante majorité a obtenu le fameux statut S de protection provisoire, qui leur accorde diverses facilités en sus du logement et des soins, dont un accès immédiat au marché du travail et à la scolarisation.
Malgré un ralentissement, l'afflux reste impressionnant. Il dépassera celui provoqué dans les années 1990 par les guerres d'ex-Yougoslavie (environ 50 000 personnes). Confédération et cantons tablent sur quelque 10 000 arrivées chaque mois. Si cela se vérifie, le nombre d'Ukrainiens réfugiés avoisinera les 100 000 personnes à la fin de l'année. Sans oublier les 1500 demandeurs d'asile venant chaque mois d'autres régions du monde.
Jusqu’à 2 milliards de francs
Trouver des hébergements constitue une préoccupation permanente. «Nous disposons aujourd'hui de 4000 lits libres, et avons pu, aussi grâce à l'aide du Département de la défense [et des casernes de l'armée, ndlr], accroître les places dans les centres fédéraux de 6000 à 9000», détaille la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter, chargée de l'asile. L'enregistrement de chacun et la procédure d'octroi du statut S se sont accélérés. Par contre, la gratuité des transports publics pour les Ukrainiens va prendre fin à la fin du mois, sur décision de la branche.
Cela va de soi, l'opération a un coût, élevé. Une estimation de l'administration fédérale l'évalue entre 1,2 et 2 milliards de francs pour l'année en cours. «Le Conseil fédéral va demander au parlement de classer ces dépenses en catégorie extraordinaire, car elles n'étaient pas prévisibles», relève la ministre libérale-radicale.
La manoeuvre permettrait d'épargner le budget normal, de ne pas raboter les fonds dévolus à d'autres domaines, et d'envisager le remboursement avec plus de temps et de souplesse. Elle est familière des autorités fédérales: durant la pandémie de Covid-19, les aides financières aux entreprises et employés en avaient notamment bénéficié.
Autant Karin Keller-Sutter que Nathalie Barthoulot, ministre jurassienne et présidente de la Conférence des directeurs cantonaux des affaires sociales, ne manquent pas de remercier la population pour sa solidarité. Une attitude qu'il s'agit de soigner, selon la conseillère fédérale libérale-radicale. «Pour cela, il faut absolument lutter contre les abus, en empêchant par exemple que ceux qui ont quitté la Suisse encaissent encore l'aide sociale.»
De même, côté marché du travail, «les employeurs veulent se montrer solidaires, mais souhaitent davantage de stabilité au moment d'engager une personne avec statut S», remarque, pour sa part, la ministre Nathalie Barthoulot.
Concernant l'avenir, Karin Keller-Sutter considère que «les Ukrainiens réfugiés doivent pouvoir retourner pour quelques jours dans leur pays afin de se faire une idée de la situation et visiter leur famille. Mais s'ils restent trop longtemps, le statut S leur sera retiré.» La durée de séjour autorisée tournerait autour de quinze jours, à préciser encore par la Confédération et les cantons.
Velléités de durcissement à droite
La pression induite par l'afflux ne plaît pas à tout le monde. Critique dès le départ, l'UDC revient ces jours à la charge. Sa conseillère nationale argovienne Martina Bircher, épaulée par le sénateur libéral-radical appenzellois Andrea Caroni (qui serait plutôt isolé dans son parti, entend-on), estime que le statut S ne devrait s'adresser qu'aux Ukrainiens venant de l'est du pays, puisque c'est dans cette région que l'armée russe concentre désormais son invasion.
Pour Karin Keller-Sutter, il n'en est pas question. «Je ne comprends pas sur quelle analyse se base cette idée. Tous les jours, en lisant le bulletin du Service de renseignement de la Confédération (SRC), je vois où tombent les bombes. Récemment la ville de Lviv, bien qu'à l'ouest de l'Ukraine, a été victime d'un bombardement. Même si la guerre est la plus extrême à Marioupol et dans le Donbass à l'est, le reste du pays reste attaqué.»
La Saint-Galloise ajoute un argument juridique. «Tous les Ukrainiens peuvent voyager dans l'espace Schengen sans visa pendant 90 jours. Allonsnous les attraper au bout de ce laps de temps et les refouler?» Le contexte international et l'image de la Suisse comptent également. «Nous avons 50 000 réfugiés ukrainiens chez nous. Il est inconcevable de devenir plus restrictifs, alors que des Etats comme la Pologne en dénombrent 3,3 millions.» Karin Keller-Sutter tient à rester coordonnée avec l'Union européenne.
■
«Il est inconcevable de devenir plus restrictifs» KARIN KELLER-SUTTER