Le Temps

La baignade sous haute surveillan­ce

Déjà les premières chaleurs et les flots de citadins venus chercher l'eau cristallin­e du Rhône. Pour parer au danger, policiers et secouriste­s s'exercent à répéter les gestes qui sauvent au fil de l'eau

- VINCENT NICOLET @VinNicolet

Florian avait rejoint la brigade peu de temps avant ce dimanche noir d’août 2020. Entre deux vagues, des centaines de personnes envoyaient paître le covid en profitant du soleil sur les maigres carrés de terre encore disponible­s bordant le Rhône, le long du sentier des Saules, à Genève. Certains y piquaient une tête, d’autres se laissaient dériver paisibleme­nt sur leurs bouées gonflables, à choix: licornes ou canards flottants. C’était l’heure de rocade pour Florian, membre de la brigade de la navigation de la police genevoise, et pour ses confrères du Service d’incendie et de secours (SIS).

D’abord une alerte noyade à la rencontre du Rhône et de l’Arve, puis une seconde 1 kilomètre plus haut, quelques mètres en aval du barrage du Seujet, et enfin le signalemen­t d’une personne inconscien­te dans l’eau, stoppée par des troncs immergés proches de la berge. Beaucoup de ressources et de grands moyens avaient été engagés durant ces deux heures d’interventi­on. Avec deux décès en l’espace d’un aprèsmidi, le bilan était lourd. Trois évènements sur une portion du Rhône que les Genevois aiment tant côtoyer. Trois interventi­ons qui ont marqué Florian et qu’il évoque, trempé, dans sa tenue en néoprène parsemée de matériel technique.

La rançon du succès

L’exercice d’aujourd’hui s’annonce heureuseme­nt moins chargé pour Florian, même si son collègue qui joue un baigneur en détresse ne va pas lui faciliter la tâche. Il campe une personne paniquée, agrippée à la rambarde du pont Sous-Terre 5 mètres au-dessus du fleuve. S’il n’est plus sûr de vouloir sauter à l’eau, repasser la barrière côté trottoir ne lui semble plus être possible. Alors qu’un policier tente de le raisonner à quelques mètres, il se jette finalement du pont puis appelle au secours. Pour la quinzaine de membres de la brigade de la navigation, l’arrivée des beaux jours rime avec l’entraîneme­nt au sauvetage en eaux vives.

«On assiste depuis quelques années à une forte augmentati­on des interventi­ons sur le Rhône, témoigne Cyrille Dutheil, chef de la brigade. Les baigneurs sont de plus en plus nombreux à venir profiter du cours d’eau, mais la prise de conscience de ses dangers se développe moins vite. Ce site était auparavant connu des seuls initiés, qui informaien­t les nouveaux baigneurs des risques encourus par le boucheà-oreille, alors qu’on dénombre aujourd’hui parfois 2000 personnes sur les rives.»

Les exercices sont réguliers et souvent conjoints entre les pompiers du SIS et la police de la navigation. Une formation d’une à deux semaines par année qui permet de mobiliser davantage de ressources et surtout de parler le même langage sur l’eau entre les différents intervenan­ts. En Suisse, 46 personnes décèdent chaque année par noyade, principale­ment en eaux libres. Sur les dix dernières années, Genève en dénombrait un peu moins de trois en moyenne, derrière Berne (sept), Zurich (six) et Vaud (quatre).

C’est l’Aar, traversant allègremen­t la capitale bernoise, qui symbolise l’attrait des Helvètes pour leurs cours d’eau. Autrement plus fréquentée que le Rhône, elle peut accueillir 1500 baigneurs par heure certains week-ends estivaux. «Mais contrairem­ent aux sites alémanique­s, le Rhône cumule les dangers sur une portion courte et la plus utilisée par les citadins», commente Cyrille Dutheil. La fluctuatio­n du courantdû au barrage du Seujet peut rendre un retour aux rives ardu pour de bons nageurs, et la jointure avec l’Arve fait chuter de 10 à 15 degrés la températur­e de l’eau. «Sans compter que l’Arve étant opaque, on perd toute visibilité à partir de la pointe de la jonction, ce qui peut déclencher une certaine anxiété.»

Cache-cache aquatique

Sous leurs casques et leurs gilets, emmitouflé­s dans leurs combinaiso­ns, les policiers répètent les scénarios vécus les précédente­s années. Une personne paniquée se débattant et s’appuyant sur son sauveteur jusqu’à le maintenir sous l’eau. Il faut garder son calme, s’éloigner et laisser la victime s’essouffler avant de lui porter secours. A un nageur encore capable de se maintenir à flot, lui crier de se mettre sur le dos et de se laisser dériver jusqu’à la berge. Jeter une corde si un danger se présente en aval. Le chef de brigade explique: «Si les conseils ne suffisent pas, s’il est impossible de lancer un objet aidant à la flottaison, plonger est la dernière solution qui s’offre à un sauveteur. Les baigneurs présents sont les premières personnes à pouvoir intervenir.»

La fluctuatio­n du courant dû au barrage du Seujet peut rendre un retour aux rives ardu pour de bons nageurs

«Le Rhône cumule les dangers sur une portion courte et la plus utilisée par les citadins» CYRILLE DUTHEIL, CHEF DE LA BRIGADE DE LA NAVIGATION DE LA POLICE GENEVOISE

Après s’être entraînés à tour de rôle, les policiers embarquent toujours trempés dans un fourgon de la brigade. Direction «le Rhône urbain», celui qui nargue Rousseau, les touristes et les grandes enseignes lumineuses au-dessus des quais, entre le pont du Mont-Blanc et celui de la Machine. «L’idée est de faire découvrir le «terrain» aux jeunes arrivés. Quelqu’un tombé à l’eau peut se retrouver coincé dans les nombreux obstacles immergés, Il y a des vestiges d’échafaudag­es qui côtoient les structures de passerelle­s, c’est un vrai labyrinthe que les sauveteurs doivent connaître», observe Cyrille Dutheil.

C’est donc une partie de cachecache aquatique qui s’engage, sous les yeux des passants installés devant la Cité du Temps et ceux des oies sauvages faisant étape à Genève. Toute la brigade est dans l’eau. Un homme se détache du groupe pour trouver un recoin difficile d’accès où attendre. A ses coéquipier­s de le retrouver puis de le déposer sur la terre ferme.

Qu’il y ait de plus en plus de baigneurs, Cyrille Dutheil s’en réjouit. Il songe toutefois à la prévention et aux conseils que transmetta­ient les nageurs aguerris aux novices. Les sauveteurs émérites ne sauraient être immunisés contre la nostalgie de ces temps bénis...

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(GENÈVE, 16 MAI / EDDY MOTTAZ / LE TEMPS) En Suisse, 46 personnes décèdent chaque année par noyade, principale­ment en eaux libres. Sur les dix dernières années, Genève en dénombrait un peu moins de trois en moyenne, derrière Berne (sept), Zurich (six) et Vaud (quatre).

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