Range ton flingue ou je tire!
Insultes, injures, offenses, irrespect, harcèlement, impudence, invectives, menaces. Heureusement que le champ lexical de la violence est ample, ce qui permet d’énoncer clairement la nature des outrages. Car par les temps qui courent, il s’agit de bien les distinguer, tant ils sont nombreux. On dirait que toute la société est passée en mode offensif, ferraillant et aboyant sur les réseaux sociaux, au bistrot, à l’université, dans les médias qui adorent ça.
Si nous voilà pris d’une agressivité pathologique, il semble aussi qu’on devienne de plus en plus susceptibles, à mesure que les préceptes de bonne conduite et de bonnes pratiques s’imposent à tous les secteurs de nos vies. Susceptibles, et précautionneux. Le pouvoir judiciaire en sait quelque chose, à force de plaintes pénales déposées. A ce jeu, les élus ne font pas exception, eux qui pourtant ont le cuir épais. Ouvrez un journal et il s’en trouve un pour saisir la justice contre un haineux.
Ainsi, cette semaine, c’est le conseiller d’Etat genevois Mauro Poggia qui s’est illustré dans cette discipline, en portant plainte contre un agité qui a proféré des menaces de mort dans un café. Le ministre n’était pas présent lors de cette scène affligeante, mais dans le doute, la police ayant été alertée, il a dégainé. Quelques jours auparavant, la conseillère administrative en ville de Genève Marie Barbey-Chappuis avait fait de même, devant les propos d’un internaute s’interrogeant avec finesse sur la peine encourue par le péquin qui se hasarderait à «faire sauter les dents à une élue». Il faut dire qu’elle a eu l’audace de vouloir fermer les terrasses à minuit en semaine et de déplacer les forains sur la plaine de Plainpalais.
Dans le canton de Vaud, la conseillère nationale Léonore Porchet a gagné en justice contre un cyberharceleur. En Valais, le conseiller d’Etat Mathias Reynard, menacé de mort après avoir défendu les mesures sanitaires, avait aussi porté plainte. Idem pour la conseillère aux Etats écologiste neuchâteloise Céline Vara. Ça marche aussi dans l’autre sens: un cadre de l’Etat de Vaud avait déposé plainte pour atteinte à l’honneur contre l’ancienne ministre Cesla Amarelle, puis l’a retirée.
Les menaces contre les élus ont explosé ces dernières années, soulignant un climat social à l’orage. Mais je note aussi un paradoxe: alors que les politiciens actionnent la justice pour éviter que de tels agissements soient banalisés, cette frénésie réactive participe aussi à rendre la violence ordinaire. Car l’humeur est contagieuse, qu’elle soit à l’indifférence ou aux estocades. Domine aujourd’hui l’impression d’une vaste foire d’empoigne décrédibilisant tout le monde.
Un remède? Deux. Pour les adeptes des thérapies bienveillantes, je signale que le collectif «Je t’aime», fort de cinq personnes, va procéder samedi à une «distribution d’amour» à Genève, au parc des Bastions. Ils promettent des câlins, des mots positifs et rayonnants et du chocolat, sous le regard de Calvin et sa bande. Ce n’est pas une blague, cela fait l’objet d’un communiqué de presse. Pour ceux dont l’âme est trop noire pour s’emballer devant cette action, je suggère de lancer une initiative populaire pour légaliser le port d’armes à feu. Je ne vous cache pas qu’à titre personnel je préfère la seconde option. Et ne désespère pas qu’elle conduise à quelque menace. ■