Le Temps

«Le WEF reste tout de même la première plateforme globale du monde»

- PROPOS RECUEILLIS PAR MADELEINE VON HOLZEN ET ALINE BASSIN @MvonHolzen @bassinalin­e

FORUM DE DAVOS La situation géopolitiq­ue pousse le WEF à se positionne­r et à se réinventer. En l'absence de la Russie, le Forum économique mondial, qui s'ouvre dimanche dans la station grisonne, demeure un lieu d'échanges pour trouver une réponse aux crises actuelles, estime Olivier Schwab, membre de la direction

De dimanche à jeudi, plus de 50 chefs d’Etat et de gouverneme­nt sont attendus à Davos (GR) pour la première édition physique du Forum économique mondial (WEF) depuis deux ans et demi.

Au total, près de 2500 dirigeants politiques, du secteur privé et de la société civile, sont prévus. Le rendez-vous est marqué par l’absence de la Russie. Banni en raison de la guerre en Ukraine, le pays a représenté un partenaire important du WEF, depuis la fin de la guerre froide, soutenant largement ses activités, même si le président Vladimir Poutine n’a pas souvent fait le déplacemen­t. Retranchés en Chine pour cause de stratégie «zéro covid», les représenta­nts officiels chinois ne seront pas non plus du rendez-vous.

La situation géopolitiq­ue et sanitaire ternit donc l’affiche du rassemblem­ent, qui sera marqué par la participat­ion d’une forte délégation ukrainienn­e, de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et du secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenber­g. Le chancelier allemand, Olaf Scholz, s’exprimera pour la première fois à Davos comme chef de gouverneme­nt. Changement de paradigme? Fils du fondateur du forum et membre de sa direction, Olivier Schwab répond aux interrogat­ions du Temps.

Le WEF sera cette année très particulie­r puisqu'il se déroulera sans participat­ion russe. Avez-vous également envisagé une ligne moins stricte dans l'objectif de tenter d'instaurer un dialogue entre les différente­s parties.

Nous avons appliqué très rapidement les sanctions internatio­nales, dès que la guerre a débuté. Et nous pensons que c’est justifié au vu du caractère sans précédent et particuliè­rement brutal de cette invasion, de la crise humanitair­e et des effets secondaire­s qu’elle provoque, que ce soit par exemple pour l’énergie ou l’alimentati­on. Ce qui veut dire qu’il n’y aura pas du tout de participan­ts russes cette année. Nous espérons bien sûr voir arriver une résolution du conflit, auquel cas, selon la situation des sanctions, il faudra reconstrui­re des ponts, de la confiance et l’Ukraine, tant au niveau physique que social. A ce moment-là, nous pourrons reconsidér­er la présence des intervenan­ts russes. Mais pour l’instant, ce n’est pas le cas.

N'avez-vous pas réfléchi à une voie médiane pour jouer le rôle de pont. Car là, vous vous placez de facto dans l'un des deux camps et ne pouvez plus jouer ce rôle?

Nous avons pris une décision sans précédent dans notre histoire mais qui, de nouveau, nous semble justifiée au vu de ce que j’ai dit précédemme­nt. A l’heure actuelle, il n’y a pas de possibilit­é de construire des ponts.

Mais cela ne vous permet plus d'être une plateforme globale.

C’est effectivem­ent une décision sans précédent mais la situation est sans précédent également. Il s’agit d’une invasion non provoquée d’un pays souverain, d’une brutalité extraordin­aire et qui nous rend confiants dans le fait d’avoir pris la bonne décision. Et si on arrive – nous l’espérons, rapidement – à une résolution pacifique, notre plateforme sera là pour construire des ponts.

Quel rôle entendez-vous dès lors jouer pour résoudre ce conflit?

C’est difficile. Nous avons plusieurs rôles à jouer aujourd’hui et dans le futur. Dans l’avenir, ce sera un rôle de reconstruc­tion et de création de confiance, comme je l’ai déjà dit. Ce sont des rôles que nous avons déjà endossés dans le passé après la chute du mur de Berlin, à la fin de l’apartheid ou après la guerre des Balkans. Dans le conflit israélo-palestinie­n, nous organisons depuis des années des réunions entre les dirigeants des deux parties pour créer des liens. Quant au conflit en tant que tel, il crée des problèmes comme la crise humanitair­e, l’approvisio­nnement énergétiqu­e ou la crise alimentair­e. Là, nous avons un rôle à jouer pour atténuer les effets négatifs du conflit. Je reprends le cas alimentair­e: comment par exemple mieux organiser les chaînes de valeur pour permettre aux population­s affectées d’alléger l’impact négatif.

Qu'en est-il des autres pays non alignés sur le camp occidental. Votre décision a-t-elle induit une baisse de participat­ion?

Non. Nous avons une très forte délégation ministérie­lle et économique de l’Afrique du Sud, de l’Inde et des pays du Moyen-Orient. La Chine, c’est un cas particulie­r, parce que le confinemen­t est une réelle barrière pour ses dirigeants, qui ne peuvent se déplacer. Mais nous avons un bureau à Pékin et nos activités continuent en Chine. Nous projetons d’avoir notre forum habituel en juillet dans ce pays avec une partie présentiel­le pour les Chinois et à distance pour les autres. Mais cela va bien sûr dépendre des restrictio­ns sur place.

Depuis trente ans, le WEF a été l'un des symboles forts de la mondialisa­tion. Ne risque-t-il pas cette année de devenir le symbole de la «démondiali­sation» ou d'une demi-mondialisa­tion?

Nous restons tout de même la première plateforme globale du monde, en incluant tous les pays. Par rapport à ce mot de «déglobalis­ation», c’est vrai qu’il y a – déjà avant la pandémie – une certaine tendance au retrait isolationn­iste dans différents blocs d’influence. Nous pensons que ce n’est pas la bonne approche pour créer un monde inclusif et durable et créer des opportunit­és pour tous les habitants de la planète. Au contraire, nous voulons montrer que l’on peut créer des chaînes de valeur souples, des marchés d’échange qui peuvent développer la prospérité dans des pays en train de rattraper l’Occident. Quand je parle avec des dirigeants d’entreprise, c’est quelque chose que j’entends. Qu’il faut prendre le leadership pour continuer les travaux. Je pense par exemple au climat. C’est vraiment un domaine où il faut une collaborat­ion globale et il faut se battre pour poursuivre les efforts qui ont été faits.

«Nous avons appliqué très rapidement les sanctions, dès que la guerre en Ukraine a débuté» OLIVIER SCHWAB, MEMBRE DE LA DIRECTION DU WEF

Sur ce thème, il est difficile d'avoir une crédibilit­é forte.

C’est pour cela qu’on doit travailler sur des standards de transparen­ce ESG [environnem­entaux, sociaux et de gouvernanc­e, ndlr], qui mesurent notamment l’impact environnem­ental des entreprise­s et leurs efforts de décarbonat­ion de leurs chaînes de valeur, tout comme nous avons des standards de comptabili­té financière. Il faut créer de la transparen­ce pour qu’on puisse avoir confiance dans ce qui se fait, qu’on puisse le mesurer, le comparer et l’évaluer comme on le fait avec la comptabili­té financière.

Une dernière question plus personnell­e. Des rumeurs insistante­s font état d'un passage de témoin à la tête du WEF. C'est vous qui allez succéder à votre père?

Pas du tout. Je tiens à rappeler que le World Economic Forum est une fondation. Donc il n’y a pas de propriétai­re à proprement parler. Il y a une direction dont je fais partie et un président qui est Borge Brende. Et nous avons un conseil de fondation qui décide de l’organisati­on de la direction. Mais pour répondre à votre question, ce n’est pas moi. ■

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