L’inflation relance les craintes des Allemands
La hausse des prix n’a jamais été aussi forte depuis plus de quarante ans. Le gouvernement allemand a présenté un paquet de mesures pour soutenir les ménages, mais des associations d’entraide et une partie de l’opposition le juge insuffisant
Une bouteille de lait, du beurre, du pain et deux sandwichs pour la pause de midi, voilà le contenu du panier de Dominik, 24 ans. Pour une somme symbolique, à peine quelques euros, ce Berlinois, marié, père de deux enfants, en cours de formation pour devenir mécanicien et dépendant des aides sociales, passe régulièrement faire ses courses dans la petite épicerie sociale de l’association Les Anges berlinois. «Sans cette aide, ce serait difficile de finir les mois», expliquet-il. «Avec la hausse des prix, tout est devenu tellement cher! Heureusement que cette épicerie sociale existe», ajoute-t-il.
Comme pour Dominik, l’inflation est devenue un sujet quotidien pour les Allemands, notamment pour les plus démunis qui consacrent une large part de leurs revenus aux produits de base. Durant des décennies, les prix ont à peine bougé dans ce pays. Or, avec la pandémie et l’invasion de l’Ukraine est réapparu un phénomène que seuls les plus âgés avaient connu, dans les années d’après-guerre, et qui reste marqué au fer rouge dans la mémoire collective. En avril, l’Allemagne a enregistré une inflation de 7,4%, un niveau jamais atteint depuis 1981, avec un pic à +35% pour l’énergie.
Sur l’année, le gouvernement fédéral table sur une hausse des prix de 6,1% tandis que la croissance économique ralentit. Elle devrait à peine dépasser les 2,2%, selon Berlin. «Les prix vont continuer à augmenter», croit savoir Ilona, une retraitée qui vient faire des courses chaque semaine aux Anges berlinois. «Ils baisseront seulement quand la guerre en Ukraine s’arrêtera», analyse-t-elle.
Source principale de préoccupation
Comme cette retraitée, deux Allemands sur trois estiment que l’inflation va se poursuivre durant les douze prochains mois. C’est ce que confirme une étude présentée cette semaine par le cabinet McKinsey. L’inflation s’installe même comme la source de préoccupation numéro 1 des Allemands, devant la guerre en Ukraine et loin devant la pandémie. Deux tiers des consommateurs disent avoir commencé à modifier leur comportement d’achat, en privilégiant par exemple des marques de distributeur moins chères ou en achetant auprès de discounters.
«Deux années de covid ont laissé des traces mais l’inflation et l’invasion de l’Ukraine rendent les gens plus pessimistes que jamais», constate Marcus Jacob, partenaire de McKinsey et coauteur de l’étude. «Les gens ressentent la hausse des prix et voient qu’il reste moins d’argent dans le porte-monnaie à la fin du mois. Cela affecte principalement les ménages à faibles revenus, mais les plus hauts revenus font également des coupes», constate-t-il. Ces coupes justement concernent des secteurs qui, selon Simon Land, lui aussi expert chez McKinsey, étaient «déjà durement touchés par la pandémie». «Les gens se restreignent dans les domaines pour lesquels ils voulaient réellement dépenser plus d’argent une fois la pandémie apaisée, comme aller au restaurant, séjourner dans des hôtels et organiser des événements», note-t-il.
Pour soutenir les ménages, le gouvernement fédéral a présenté la semaine dernière une série de mesures d’un montant de 4,5 milliards d’euros (environ 4,6 millions de francs) pour la seule année 2022. Ce paquet d’aides comprend, entre autres, une prime de 300 euros allouée aux salariés, professions indépendantes et entreprises, afin de couvrir une partie des frais d’énergie. Les familles recevront une aide exceptionnelle de 100 euros par enfant. Les personnes les plus démunies, comme Dominik, se verront verser 200 euros de bonus et verront leurs allocations augmenter de 20 euros par mois.
A la pompe, les automobilistes bénéficieront par ailleurs pendant trois mois d’une baisse de 30 centimes d’euros sur l’essence et de 14 centimes sur le diesel dès le 1er juin, tandis qu’un ticket de transports en commun sera mis en place à cette même date, pour 9 euros seulement par mois. Il sera valable trois mois sur l’ensemble du territoire. Sans oublier la hausse temporaire du niveau du premier seuil d’imposition, relevée de 363 euros à 10 347 euros. «Nous ne laissons personne derrière», a lancé le chancelier social-démocrate Olaf Scholz, ce jeudi, lors d’une intervention au Bundestag. «Notre aide concerne les revenus faibles et moyens mais les entreprises peuvent aussi compter sur nous», a-t-il ajouté.
Devant l’épicerie sociale des Anges Berlinois, Dominik se dit «plutôt satisfait» des aides annoncées. «Pour nous quatre, cela devrait représenter 600 euros d’aide. Nous allons pouvoir faire le plein et passer quelques jours de vacances à la campagne», se félicite-t-il. Car de son propre aveu, depuis que le litre d’essence a dépassé 2 euros le litre, il laisse la voiture au parking. A moins que son père lui amène de l’essence de Pologne. Une solution «pas tenable» sur le long terme.
Les associations d’aides aux plus démunis et une partie de l’opposition jugent ces mesures certes nécessaires mais insuffisantes, alors que la plupart des retraités ne peuvent bénéficier du bonus énergie. Le calendrier est lui aussi critiqué, alors qu’en France, par exemple, la remise sur l’essence est entrée en vigueur le 1er avril dernier. Ce jeudi, les conservateurs bavarois ont par ailleurs appelé le gouvernement à faire de la lutte contre la hausse des prix sa priorité. «L’inflation est l’expropriation silencieuse des épargnants», estime le député Alexander Dobrindt.
Le gouvernement d’Olaf Scholz, lui, se dit prêt à compléter ce paquet de mesures dans les prochains mois et rappelle que le salaire minimum va passer à 12 euros au 1er octobre, comme promis il y a un an. «Cela représente une hausse de 22% de salaire pour plus de 6,5 millions de personnes», a rappelé cette semaine le ministre du Travail, Hubertus Heil, devant ses collègues du Bundestag. «Cette mesure était nécessaire dans le passé mais l’est encore plus en ces temps d’inflation», ajoute-t-il. ■
«L’inflation est l’expropriation silencieuse des épargnants» ALEXANDER DOBRINDT, DÉPUTÉ CSU