Le Temps

Le financier genevois qui vend un casino londonien

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

«C’est comme prendre un taxi. Je suis monté dedans et je suis maintenant en train d’en sortir.» Voilà comment Riccardo Tattoni répond lorsqu’on lui demande comment il est devenu propriétai­re du Park Lane Club et comment il compte le vendre. Le financier genevois est sur le point de revendre ce très chic casino qui appartenai­t jusqu’en 2018 à un oligarque lituanien. Ce dernier a vécu un véritable chemin de croix dans le monde du jeu, entre tentative de kidnapping, manoeuvres d’extorsion et même un braquage.

«J’ai été convaincan­t et j’ai pu reprendre le Park Lane Club avec un investisse­ment très minime fin 2018», résume Riccardo Tattoni, rencontré cette semaine dans les locaux de sa société d’investisse­ment, dans la Vieille-Ville genevoise. L’affable financier italien dit avoir effectué une assez classique opération de restructur­ation, avec ce casino londonien. «J’ai repris les actifs et les passifs, renégocié avec les créanciers et je veux maintenant revendre cette très belle affaire», décrit l’ex-banquier, cheveux gominés et costume bleu foncé, dorénavant installé entre Dubaï et Milan.

Cette affaire, Riccardo Tattoni l’a découverte avant même que le Park Lane Club ne soit créé, à l’automne 2014, puisqu’il a conseillé un groupe d’investisse­urs qui voulaient participer aux activités de Vasilijs Melniks, un homme d’affaires lituanien ayant fait fortune dans l’activité portuaire. Cet oligarque souhaitait alors se diversifie­r en montant un casino haut de gamme dans la capitale anglaise, comme d’autres décident d’acheter un club de football.

Sauf que l’aventure s’est avérée particuliè­rement compliquée et même dangereuse pour Vasilijs Melniks, comme l’a récemment raconté le Financial Times (FT), dans une saga digne d’un film d’espionnage.

Arrivé à Londres en 2013, le quadragéna­ire lituanien avait un objectif essentiel: rivaliser avec les plus prestigieu­x casinos londoniens. Le sien occupera donc deux étages de l’hôtel Park Lane Hilton, un palace donnant sur Hyde Park et proche du coeur de Mayfair, le plus prestigieu­x quartier de Londres. Marbre noir et velours rouge décoraient la maison de jeu, qui arborait aussi des toilettes en faux or. Des investisse­ments considérab­les, qui comprenaie­nt aussi la licence de jeu, acquise pour 8,4 millions de livres (environ 10 millions de francs) et les quelque 170 employés.

«Tu gardes quelque chose qui ne t’appartient pas»

Mais quelques mois après le lancement du club, Vasilijs Melniks, qui fut pour quelques jours ministre des Finances de son pays dans les années 1990, était approché par un groupe d’hommes d’affaires israéliens affirmant sur un ton menaçant posséder une partie du casino, rapporte le FT. Car ils auraient effectué un paiement au précédent détenteur de la licence de jeu.

Deux mois plus tard, le patron de casino subissait une apparente tentative de kidnapping, deux hommes tentant de le pousser dans une voiture, tout en lui glissant en russe: «Tu gardes quelque chose qui ne t’appartient pas». Cinq jours après, deux hommes vinrent lui proposer un accord. S’il leur cédait une partie du casino le jour même, il pourrait en garder 50%. Mais seulement 30% s’il se décidait le lendemain. Et s’il laissait passer la semaine, «il n’y aurait plus de casino». Alertée sur ces faits, la police londonienn­e ne poursuivit pas l’affaire, faute de preuves. De plus en plus paranoïaqu­e, Vasilijs Melniks vivait entouré de gardes du corps et pouvait observer en permanence ce qui se passait dans sa maison de jeu depuis son iPad, où qu’il se trouvât dans le monde.

L’année 2014 fut plutôt bonne pour les casinos londoniens, le Park Lane Club faisant de son mieux pour attirer les plus grands joueurs susceptibl­es d’abandonner de petites fortunes sur ses tables de black-jack ou de roulette. Mais c’est une fortune encore plus petite (36000 livres) qu’emporta un cambrioleu­r un matin de juin 2017, un ancien employé, découvrira-t-on plus tard.

Probableme­nt le coup de grâce pour Melniks, qui subit alors de sérieux problèmes de santé et un gel de ses avoirs en Ukraine, suite à des soupçons de corruption dont il fut par la suite innocenté. Le casino fut aussi amendé à hauteur de 1,8 million de livres cette année-là pour n’avoir pas suffisamme­nt clarifié l’origine des fonds de plusieurs clients.

Le Park Lane Club fut donc vendu à Riccardo Tattoni, qui gère différente­s activités de sa famille, entre la Toscane et l’Asie, dans l’hôtellerie, l’équitation ou la restaurati­on. A Genève, l’homme est notamment connu pour avoir été actionnair­e et dirigeant de la Société Bancaire Privée, une banque de gestion cotée en bourse dont il s’est retiré en 2007, alors que la Commission fédérale des banques menaçait d’en retirer la licence bancaire. Sa banque a été rachetée par Banco Profilo, devenue Banque Profil de Gestion, intégrée mi-2021 par One Swiss Bank.

Licence de jeu «en discussion»

«Je n’ai jamais eu affaire à ces Israéliens, ni été approché par qui que ce soit d’autre. A mon avis, l’article du Financial Times est très romancé», poursuit Riccardo Tattoni, entre deux cigarettes électroniq­ues. Il a en revanche dû gérer le Park Lane Club pendant la pandémie, en conservant les employés durant les dix-huit mois de fermeture et en faisant face aux 2 millions de livres de loyer annuel à verser au Hilton.

Le précédent propriétai­re aurait subi des menaces et une tentative de kidnapping. Un cambriolag­e, des soucis de santé et le gel de ses avoirs lui feront jeter l’éponge

«J’ai repris les actifs et les passifs, renégocié avec les créanciers et je veux maintenant revendre cette très belle affaire» RICCARDO TATTONI, FINANCIER GENEVOIS PROPRIÉTAI­RE DU CASINO PARK LANE CLUB À LONDRES

En novembre 2020, la Commission du jeu anglaise décida de suspendre la licence du Park Lane Club, suite à un manque de clarté sur son nouveau propriétai­re, affirment le FT et d’autres médias anglais. «La commission m’a demandé des informatio­ns sur le patrimoine de ma famille, la façon dont il est structuré, mes associés. Des éléments qui relèvent de ma sphère privée que je refuse de divulguer, comme la loi suisse me le permet», répond encore Riccardo Tattoni. Le casino ayant fait appel contre la suspension de sa licence, il a pu continuer à opérer.

Au Park Lane Club, l’activité reprend progressiv­ement, conclut notre interlocut­eur, disant être sur le point de conclure la vente et affirmant disposer de trois offres.

 ?? (DR) ?? Ex-propriétai­re de la Société Bancaire Privée à Genève, Riccardo Tattoni a repris fin 2018 une maison de jeu à Londres qui avait occasionné pas mal de déboires à son propriétai­re précédent, un oligarque lituanien
Situé à deux pas de Buckingham Palace, le casino Park Lane Club, qui occupe deux étages de l’hôtel Park Lane Hilton, a été conçu pour rivaliser avec les plus prestigieu­ses maisons de jeu londonienn­es. Il possède notamment une terrasse donnant sur Hyde Park.
(DR) Ex-propriétai­re de la Société Bancaire Privée à Genève, Riccardo Tattoni a repris fin 2018 une maison de jeu à Londres qui avait occasionné pas mal de déboires à son propriétai­re précédent, un oligarque lituanien Situé à deux pas de Buckingham Palace, le casino Park Lane Club, qui occupe deux étages de l’hôtel Park Lane Hilton, a été conçu pour rivaliser avec les plus prestigieu­ses maisons de jeu londonienn­es. Il possède notamment une terrasse donnant sur Hyde Park.
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