La fin de la Pax Olympica?
Le Comité international olympique (CIO) promeut les Jeux olympiques comme étant une rencontre amicale de tous les pays et athlètes du monde à l'occasion de compétitions sportives. C'est le sens du récent ajout du mot «ensemble» à la devise olympique dont la formule originelle «plus vite, plus haut, plus fort» était peu adaptée à un monde qui a des limites et qui vise la durabilité.
C'est aussi le sens d'une campagne de communication pour les Jeux lancée il y a quelques années avec le slogan «célébrer l'humanité». Il est vrai que les Jeux célèbrent l'athlète individuel, son pays (avec son drapeau et son hymne en cas de victoire), mais aussi son appartenance à la race humaine sans discrimination comme le faisait remarquer depuis longtemps l'anthropologue américain John MacAloon.
Cette ambition de rassembler le monde entier n'a pu se réaliser pleinement qu'à Barcelone en 1992, près de cent ans après la rénovation des Jeux, avec la fin des boycotts des années 1970 et 1980, le retour de l'équipe d'Afrique du Sud après la période d'apartheid et l'arrivée des républiques anciennement soviétiques ou yougoslaves. Peut-être que cette Pax Olympica s'est terminée à Tokyo 2020 où tous les pays (sauf la Corée du Nord de son propre choix) ont pu participer (sous leurs drapeaux ou sous la bannière du Comité olympique russe pour la Fédération de Russie).
Russes bienvenus à Roland-Garros
Cela sera-t-il le cas à Paris en 2024? Des observateurs commencent à se poser la question, pour plusieurs raisons. Premièrement, dès le début de la guerre en Ukraine, le CIO a recommandé aux fédérations sportives internationales d'exclure en 2022 les athlètes russes et biélorusses de leurs compétitions (mais pas leurs juges et arbitres ou officiels dans leurs instances) et de déplacer les compétitions prévues en Russie vers d'autres villes et pays. La plupart l'ont fait, mais certains organisateurs de grandes compétitions ne se sont pas pliés à cette recommandation comme le tournoi de tennis de Roland-Garros (qui appartient à la Fédération française de tennis) ou le Tour de France (qui est la propriété d'Amaury Sport Organisation).
Par contre, le tournoi de Wimbledon a exclu les joueurs russes et biélorusses malgré l'opposition des associations de joueurs (ATP) et de joueuses (WTA), sans doute sous pression du gouvernement britannique qui, comme tout gouvernement, contrôle ses frontières. La Fédération internationale de sport universitaire (FISU) a même reporté sine die les Universiades d'Ekaterinbourg 2023 en Russie pour les attribuer à Chengdu (Chine) qui a dû déjà les reporter deux fois (2021 et 2022) à cause de la pandémie de Covid-19. Que faudra-t-il faire en 2023 et au-delà si la guerre en Ukraine dure, sachant que les athlètes russes sont forts dans de nombreuses disciplines?
Deuxièmement, certains athlètes commencent à appeler leurs organisations sportives et le CIO à bannir les athlètes russes et biélorusses au-delà de cette année. Par exemple, le boxeur champion olympique Wladimir Klitschko demande au CIO de ne pas permettre à la Russie de participer aux Jeux de Paris 2024. La maire de Paris avait exprimé le même souhait. Par contre, l'Association mondiale des olympiens (WOA) s'oppose à toute interdiction de participation d'athlètes de quelque pays que ce soit, au nom de la non-discrimination. Or, la voix des athlètes compte de plus en plus, comme celle des gouvernements.
Le CIO a déjà déclaré que toute interdiction gouvernementale de participation de ses propres athlètes à des compétitions avec des Russes (comme l'a récemment prononcée la Lettonie) ne serait pas considérée comme une atteinte à l'autonomie des organisations sportives, uneexigence olympique capitale.Finalement, beaucoup des compétitions actuelles et futures servent de qualification pour les Jeux de Paris 2024, notamment dans les sports d'équipe. L'impossibilité pour les équipes russes et biélorusses d'y participer les empêchera de fait de se qualifier pour les prochains Jeux. Ce genre de dilemme risque de survivre à la guerre en Ukraine. Que faire avec le gouvernement afghan qui interdit quasiment le sport féminin? Avec le gouvernement syrien ou biélorusse et d'autres qui pourchassent leurs opposants? Ou avec tout gouvernement qui porterait atteinte aux droits humains? Où faut-il s'arrêter ou pas pour réunir toute l'humanité?
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