Le Temps

Une planète Terre qui part en poussière

La COP15 sur la lutte contre la sécheresse dresse le bilan alarmant d’une planète où le désert, la déforestat­ion et la dégradatio­n des sols progressen­t. Les décisions prises à l’issue de dix jours de négociatio­ns sont-elles à la hauteur?

- CATHERINE MORAND, ABIDJAN @CatherineM­orand

«A aucun moment de l'histoire moderne, l'humanité n'a été confrontée à un tel éventail de risques et de dangers familiers et inconnus, interagiss­ant dans un monde hyper-connecté, et en évolution rapide». Publiée dans un de ses rapports juste avant l'ouverture de la COP15, soit la 15e Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertific­ation (CNULCD), cette mise en garde donne le ton. Et impose une certaine gravité aux participan­ts à la COP15 qui se tient à Abidjan en Côte d'Ivoire depuis le 9 mai et s'achève aujourd'hui vendredi 20 mai.

S'y sont pressées les délégation­s de plus de 190 pays, ainsi que des représenta­nts de la société civile, du secteur privé, d'organisati­ons régionales et internatio­nales, qui ont négocié, échangé, interagi durant une dizaine de jours, pour tenter de s'accorder autour d'objectifs communs pour lutter contre la sécheresse, la désertific­ation, la déforestat­ion, et la dégradatio­n des sols.

Moins connue que celle sur les changement­s climatique­s ou celle sur la biodiversi­té, la Convention sur la lutte contre la désertific­ation traite de thèmes tout aussi cruciaux, débattus, pour la seconde fois, sur le continent africain, après celle qui s'était tenue en Namibie en 2013.

«Aucune région n'est épargnée»

Elena Havlicek, spécialist­e des sols à l'Office fédéral de l'environnem­ent et membre de la délégation suisse, salue le retour au «présentiel», indispensa­ble, selon elle, pour mener à bien des négociatio­ns très techniques. «A distance, c'est beaucoup plus compliqué, voire impossible», estime-t-elle. Sa collègue et cheffe adjointe de la délégation Stéphanie Piers de Raveschoot, de la Direction du développem­ent et de la coopératio­n (DDC) – qui est notamment intervenue au sein d'un panel d'experts sur la transforma­tion des systèmes alimentair­es – a également apprécié de pouvoir à nouveau partager en live les bonnes pratiques et expérience­s de terrain avec ses homologues du monde entier.

La tenue de cette COP15 sur le continent africain fait sens, dans la mesure où, comme l'a relevé la directrice générale adjointe de la FAO Maria Helena Semedo, présente à Abidjan, «l'Afrique et sa population essentiell­ement rurale est la région du monde la plus touchée par la désertific­ation et la sécheresse», même si, s'est-elle empressée d'ajouter, «plus aucune région du monde n'est désormais épargnée».

Une sécheresse qualifiée d'«historique» touche actuelleme­nt la Corne de l'Afrique, notamment l'Ethiopie, où depuis dix-huit mois, pas une goutte de pluie n'est tombée. Lors de la publicatio­n le 12 mai du rapport intitulé «La sécheresse en chiffres», le secrétaire exécutif de la CNULCD Ibrahim Thiaw a expliqué avoir été confronté pour la première fois à l'âge de 12 ans à une terrible sécheresse dans son pays, la Mauritanie. «Ce fut un traumatism­e qui ne m'a jamais quitté», confie-t-il, en racontant les poussières de sable, les maladies qu'il véhicule, les animaux qui meurent, les gens qui partent et ne reviennent jamais, les sols sablonneux qui ne produisent plus rien.

Alors que plus de 40% des terres sont dégradées sur la planète, et que chaque année, selon l'ONU, quelque 12 millions d'hectares de terres partent en poussière, comment restaurer ces terres qui ne retiennent plus l'humidité et sont de moins en moins fertiles?

En guise de réponse à ces défis, la COP15 a remis en lumière la Grande Muraille verte, qui ambitionne de restaurer 100 millions d'hectares de terres arides au Sahel d'ici à 2030, sur une bande de 8000 km, allant du Sénégal à Djibouti. Ce projet pharaoniqu­e, démarré il y a une quinzaine d'années, relancé en janvier 2021 par Emmanuel Macron lors du sommet One Planet à Paris, n'a pourtant guère avancé ni convaincu jusqu'à aujourd'hui.

L'accès des femmes au foncier

Pour la directrice adjointe de la FAO Maria Helena Semedo, les solutions pour restaurer des terres dégradées passent par l'agroforest­erie, l'agroécolog­ie, la reforestat­ion et le recours à des engrais d'origine naturelle. Des techniques agricoles qui ont fait leurs preuves, et que de nombreuses associatio­ns, organisati­ons, jeunes entreprene­urs présents à la COP15, mettent en pratique, tout en déplorant le manque d'appui dont ils bénéficien­t de la part de leurs autorités. Le Wocat, le réseau mondial sur la gestion durable des terres dont le secrétaria­t est hébergé par le Centre pour le développem­ent et l'environnem­ent (CDE) de l'Université de Berne, fournit un appui complément­aire indispensa­ble, considéré comme une base de données de référence par la Convention. «Il s'agit là d'un beau succès pour la Suisse qui soutient ce réseau par le biais de la DDC», relève Stéphanie Piers de Raveschoot.

La question de l'accès des femmes au foncier, jugée cruciale «pour une restaurati­on réussie des terres», et qui a fait l'objet d'un «Caucus sur le genre» le premier jour de la COP, est l'un des points forts de la Déclaratio­n d'Abidjan rendue publique à la fin des travaux. «Je m'en réjouis beaucoup, car il y a de vrais défis concernant les droits des femmes à l'accès et à l'utilisatio­n des terres», a réagi l'ambassadri­ce de Suisse en Côte d'Ivoire Anne Lugon-Moulin, cheffe de la délégation suisse à la COP15.

Restaurer un milliard d'hectares de terres dégradées d'ici 2030, renforcer la préparatio­n, la réponse et la résilience à la sécheresse et protéger l'utilisatio­n des terres contre les effets du changement climatique figurent également parmi les déclaratio­ns d'intention formulées à l'issue de la COP15. Mais cela suffira-t-il, et les engagement­s seront-ils tenus?

Cultures délétères

Les monocultur­es de rente, telles que le cacao, le café, la noix de cajou, le palmier à huile, le coton, très dommageabl­es pour les sols, auxquelles sont astreints les pays africains pour alimenter le marché mondial et obtenir les devises dont ils ont besoin, sont-elles compatible­s avec une agricultur­e dite durable? La Côte d'Ivoire veut en tout cas y croire: à l'ouverture de la COP15, son président Alassane Ouattara a lancé une «Initiative d'Abidjan», qui ambitionne de «créer les conditions d'une durabilité environnem­entale», en misant notamment sur l'agroforest­erie pour restaurer 3 millions d'hectares de forêt d'ici à 2030, alors que 80% du couvert forestier a disparu; et pour y parvenir, demande aux bailleurs de fonds internatio­naux une contributi­on de 1,5 milliard de dollars sur cinq ans.

Fait piquant: Alain-Richard Donwahi, le président choisi pour diriger cette COP15 pendant deux ans au nom de l'Etat ivoirien, est le ministre des Eaux et Forêts du précédent gouverneme­nt, un ministère qui fait depuis plusieurs mois l'objet d'un audit pour un présumé trafic de bois précieux.

La Grande Muraille verte ambitionne de restaurer 100 millions d’hectares de terres arides au Sahel d’ici à 2030

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(YAHYA ARHAB/EPA) Une sécheresse historique touche actuelleme­nt la Corne de l’Afrique, notamment l’Ethiopie, où, depuis dix-huit mois, pas une goutte de pluie n’est tombée.

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