Exorcisme à la mode napolitaine
Jean Bellorini offre une vision ironique et fraternelle de la comédie de Molière
Un bordel, bien sûr. C’est Madame Pernelle qui le dit et en italien, dans son fauteuil roulant. Betti Pedrazzi joue cette «tartuffiée» de la première heure, qui peste contre la maisonnée, la servante Dorine (Angela De Matteo, terrienne, solaire, magnifique), ses petits-enfants en dessous de tout, Damis (Giampiero Schiano) et Mariane (Francesca De Nicolais). Seul son fils, Orgon (Gigio Alberti), a compris combien Monsieur Tartuffe est un saint.
Cette entrée en matière donne le ton d’un spectacle qui fait sortir Molière de ses gonds sans le dénaturer, qui le rhabille à la mode italienne, comme pour vérifier sa robustesse, sa puissance d’abrasion, sa cruauté, mais aussi sa tendresse. Car la beauté du spectacle de Jean Bellorini n’est pas d’avoir opté pour la langue de Goldoni, mais pour ces comédiens-là, ancrés dans la matière des jours, légers quand il faut, bouleversants selon les scènes.
On peut rêver Tartuffe de mille manières. Cet hiver à la ComédieFrançaise, le Belge Ivo van Hove offrait une vision acide et politique d’une version de la pièce en trois actes, celle qui a été censurée et que l’universitaire Georges Forestier a reconstituée. Le faux dévot apparaissait nu d’abord, dans une bassine, objet des soins de toute la famille, comme si elle attendait d’être soumise, affranchie de son libre arbitre, possédée.
Jean Bellorini a une approche plus affective, c’est-à-dire aussi affectueuse de l’histoire. Federico Vanni est débonnaire sous sa soutane d’imposteur. Avec sa barbe et son gilet de professeur de lettres à la retraite, Gigio Alberti est un Orgon tout ce qu’il y a de plus éclairé a priori. Tous les personnages semblent sortis d’un album de famille napolitain des années 19601970. Ils sont entêtés, coriaces ou gourds.
Promesse de réparation
Le clin d’oeil napolitain de l’affaire? Un homme sur une croix dans la cuisine. Il porte un manteau orange et bientôt des lunettes Ray-Ban. Il est là d’entrée de jeu. On croit que c’est Tartuffe, c’est l’exempt du roi, celui qui à la fin vient arrêter le manipulateur d’âmes. Dorine l’époussette. Lui esquisse un sourire béat. Le deus ex machina, c’est lui, le seul vrai dieu de l’affaire. Il est promesse de réparation et invite à ne pas en être dupe. La transcendance est ailleurs. Dans ces moments où l’on danse sur Cosa Sarà de Lucio Dalla. Tous les Tartuffe du monde battent en retraite alors. Vade retro Tartufo!