«Les Aquatiques» ou quand la colère se fait émancipatrice
Lauréate du Prix Kourouma, remis vendredi au Salon du livre de Genève, Osvalde Lewat signe un premier roman très réussi où le drame et le burlesque se répondent
Le 19e Prix Kourouma a été remis vendredi au Salon du livre de Genève à un roman complexe et audacieux:
Les Aquatiques d’Osvalde Lewat (Les Escales, 2021). Le récit suit le parcours d’émancipation d’une jeune femme de la bourgeoisie, dans une «démocrature» d’Afrique de l’Ouest, au début du XXIe siècle. A travers Katmé, c’est tout un monde de machinations politiques et économiques, de structures familiales pesantes, de contraintes sociales qui est dépeint.
La place des femmes, celle des artistes, la sexualité, le rôle de la religion comme régulateur social, tous ces thèmes traversent sans jamais l’alourdir un récit vivement mené, avec humour et colère, et une très belle maîtrise de la construction et de la langue. Si Les Aquatiques est un premier roman, Osvalde Lewat a déjà une oeuvre importante de documentariste et de photographe, qui porte un regard critique aigu sur les pays d’Afrique subsaharienne.
Des funérailles bis
Katmé est l’épouse du préfet de la capitale du Zambuena, pays imaginaire qui emprunte au Cameroun natal de la romancière et à quelques autres pays d’Afrique qu’elle a fréquentés. Universitaire, enseignante, Katmé a dû renoncer à ce travail qu’elle adorait pour se consacrer à la carrière politique de son mari et à l’éducation de ses jumelles. Sa position de femme de préfet lui vaut un vaste logement de fonction récupéré de l’époque coloniale, une flopée de domestiques et toutes sortes de corvées. La plus pesante: les déjeuners du Club des Amies du Zambuena, qui réunit les épouses de notables. Sans cesse sollicitée, contrôlée par sa famille, Katmé se plie de plus en plus difficilement à l’autoritarisme de son mari et aux contraintes de sa position.
Le roman s’ouvre sur une scène d’enterrement burlesque, celui de la mère de Katmé, décédée à 39 ans dans un accident de voiture. Vingt ans plus tard, une lettre administrative exige le déplacement de la sépulture: une route financée par des fonds européens doit passer sur le terrain. Katmé a gommé le souvenir de cette mère, elle supporte mal ce retour du passé. Mais son mari y voit une opportunité politique. Il convoite le poste de gouverneur du Haut-Fènn où se situe la tombe. Les nouvelles funérailles seront un événement qui le profilera comme candidat incontournable.
Katmé va s’investir dans le projet, non qu’elle le cautionne, mais parce qu’elle est trop heureuse de quitter la capitale et le foyer conjugal où les nuages s’amoncellent. Les préparatifs de la fête offrent l’occasion de portraits très réussis: un intellectuel brillant mais pas très courageux, le représentant énigmatique des mandataires européens, une tante chaleureuse mais bigote, une soeur réfugiée au couvent.
Le parfum du scandale
Mais un scandale risque de compromettre la carrière du mari de Katmé. Un ami d’enfance de la jeune femme, Samy, est un artiste engagé. Ses photographies et ses sculptures ont un succès au parfum de scandale. Il a des collectionneurs mais aussi des détracteurs. La galerie qui le représente est démolie par des agitateurs. Katmé soutient Samy autant qu’elle peut. Mais quand l’homosexualité de son ami est révélée publiquement, elle est sommée de prendre ses distances.
Des écrivains africains, dont Mohamed Mbougar Sarr et Max Lobe, ont dénoncé l’ostracisme qui frappe les homosexuels en Afrique de l’Ouest jusque dans la loi. A son tour, Osvalde Lewat montre le moralisme, la bigoterie et le déchaînement populiste excité par la presse, unis pour punir la transgression. Samy le paiera cher. Ce drame pousse Katmé à prendre le risque de «coïncider avec elle-même». Le roman la laisse au seuil d’une nouvelle vie où rien ne sera facile.