Thierry Mertenat, «l’enfant d’un fait divers»
Le journaliste genevois qui ne cesse de prêter sa plume aux drames des autres, évoque pour la première fois le malheur qui l’a frappé dans sa prime enfance
On commence par compter avec lui les autobus qui passent sous son balcon de la rue des Délices, à Genève, pour se glisser au fur et à mesure dans son quotidien. L’aubette et ce qu’elle promet de nouvelles histoires, la «posture professionnelle» – ce sont ses mots – qu’il affine depuis sa chambre puis très vite sur le banc à côté de John, son aventurier du jour. Thierry Mertenat, le critique culturel devenu localier «pour la vie», se dit privilégié de détenir une carte de presse. Il est un fier fait-diversier.
L’extérieur est son bureau, l’humain sa matière première. Confesseur de rue, éboueur de l’aube, il quadrille Genève pour son journal, la Tribune de Genève, à la recherche «des bas morceaux du réel» et remplit des carnets de notes qui forment des piles périlleuses sur sa table de travail. Il est à l’écoute autant qu’il est conteur: «Citer en ouvrant les guillemets, en repoussant le moment de les fermer, équivaut à ne jamais se sentir seul.»
Il guette les cimes d’un arbre, la température de l’eau d’une fontaine et les nageurs lacustres de l’hiver, fouille les entrailles de l’espace public, cherche les rats qui colonisent les places de jeux, le soir venu, ou toute autre histoire que sa ville d’adoption pourrait lui livrer. Il couvre les incendies, les drames souvent et les bonheurs parfois, lui l’échassier qui plonge son bec dans le caniveau (dixit), mais respecte profondément celles et ceux dont il parle. Ou dont il décide de ne pas parler, parfois, c’est son choix.
A mi-chemin entre la vie et la mort
Car le fait divers rime souvent avec l’effroi. «Je suis là où j’ai toujours voulu être, dit-il à un moment, à mi-chemin entre la vie et la mort, à cet endroit où l’une et l’autre, réconciliées, ne font plus peur.» La mort, il nous y conduit, lentement. On comprend, on s’habitue, on devine. «Nous y sommes.» Lui, «l’enfant d’un fait divers», retourne sur les traces de son père, pris dans une avalanche à l’âge de 31 ans. Le journaliste aujourd’hui sexagénaire avait alors 2 ans et 3 mois. Il reconstitue scrupuleusement cette journée, cherchant, tel le professionnel exceptionnel qu’il est, toutes les traces encore existantes de ce drame. Le sien.