«Le pic de la pénurie est attendu en 2028-2029»
Conseillère en ressources humaines chez Von Rundstedt, Anne Donou décrypte le phénomène des pénuries de main-d’oeuvre en Suisse
«Il y a un facteur structurel lié à la transformation numérique: les entreprises ont besoin de compétences qu’elles n’ont pas et ont des compétences dont elles n’auront plus forcément besoin. On assiste à une polarisation du marché avec des profils qui sont rares, typiquement les informaticiens, et des profils qui sont en surnombre, comme les comptables qui passent des écritures. Demain, ce type de profil n’existera plus.
Le deuxième phénomène, c’est qu’il se crée plus d’emplois qu’il n’en disparaît. Rien n’est perdu, tout se transforme. L’année dernière, le nombre de créations d’emplois dans le monde a dépassé le nombre de suppressions d’emplois, selon le WEF. Et puis, il y a surtout un phénomène démographique. En Suisse, il y a un million de babyboomers qui vont partir à la retraite d’ici à 2030 et 800 000 d’entre eux sont encore actifs. On estime qu’il y aura 500 000 nouvelles entrées sur le marché du travail. C’est l’inversion de la pyramide des âges. Cela a démarré et le pic est attendu en 2028-2029.
Le moyen de réduire la pression, c’est l’immigration. La Suisse va moins souffrir que ses voisins parce qu’elle est plus attractive. Dans la santé, la restauration et l’hôtellerie, c’est la catastrophe. Dans l’informatique, il manque 30 000 personnes. Ces profils, on va les chercher à l’étranger. La difficulté existera pour les bas salaires et les professions moins bien rémunérées, en raison du coût de la vie, du coût des loyers ou des assurances maladie.
Les jeunes rechignent-ils vraiment à s’engager? Je ne crois pas. Ce qu’ils demandent, c’est plus de responsabilisation, du sens et de l’autonomie. Et si le patron ne leur donne pas ce «sens», ils vont aller le chercher ailleurs, en se contentant de leur salaire pour payer leurs factures. Pour les jeunes, la notion de l’engagement et de la loyauté à l’employeur a changé. Cette génération a vu ses parents pressurisės dans les entreprises, se faire parfois licencier et ne veulent pas subir le même sort. Enfin, c’est difficile d’être loyal à une seule entreprise quand on vous dit depuis des années que votre génération connaîtra dix employeurs ou dix métiers dans sa vie. On a éduqué et préparé ces jeunes à être agiles. A l’extrême, certains deviennent volatils.»
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