Le Temps

Pour les paysans, impossible de faucher en toute liberté

- RAPHAËL JOTTERAND @Raph_jott

Avec un printemps particuliè­rement chaud, les cultures de fourrage sont en avance sur le calendrier habituel. Mais une réglementa­tion de la Confédérat­ion empêche les agriculteu­rs de démarrer la récolte avant le 15 juin

Alors que la récolte des premiers foins bat son plein, d’autres fourrages ne sont pas près d’être rasés. Depuis 1993, chaque agriculteu­r doit accorder 7% de son domaine à la promotion de la biodiversi­té. En échange, la Confédérat­ion assure aux profession­nels de la terre une contributi­on – pouvant aller de 450 à 1080 francs par hectare en fonction de l’altitude – sous forme de paiements directs (OPD). Mais pour toucher cette aide, les paysans doivent se soumettre à un certain nombre de règles qui peuvent parfois être contraigna­ntes.

Parmi les points à respecter, les agriculteu­rs n’ont pas le droit d’épandre toute sorte de purin, mais surtout, de faucher les surfaces de promotion de la biodiversi­té avant le 15 juin, au risque de ne pas recevoir les paiements directs. Mais cette année, avec la sécheresse qui accélère la croissance des cultures, les fourrages auraient besoin d’être récoltés plus vite. Entre mission pour l’Etat et envie de récolter un produit de meilleure qualité, les paysans sont divisés.

Coûts supplément­aires

A Apples, au coeur du district de Morges, Alain Urben s’inquiète de la situation. «Fixer une date butoir sans aucune souplesse, ça n’a aucun sens. Certaines années, les températur­es font que c’est trop précoce alors que cette année nous allons être beaucoup trop tard.» Pour Alain Urben, la situation est d’autant plus agaçante que le fourrage est l’aliment principal donné aux génisses (jeunes vaches). En attendant trop longtemps, le risque est que la végétation perde en qualité. «Dans un mois, la valeur nutritive du fourrage aura nettement diminué et ne sera pas suffisante pour remplir les besoins journalier­s d’une génisse. Nous allons devoir combler en ajoutant des protéines, ce qui a un coût considérab­le, amplifié depuis le début de la guerre», indique le paysan du pied du Jura, qui milite pour que l’autorisati­on de récolter soit avancée de dix jours.

Un peu plus bas dans la plaine, à Vaux-sur-Morges, Christophe Pittet abonde dans le même sens que son confrère. Pour lui, le risque est qu’il pleuve trop tardivemen­t et que les fourrages deviennent épais et de mauvaise qualité. «Chaque année, nous sommes confrontés au même problème. Avec l’augmentati­on des températur­es, nos cultures sont de plus en plus précoces. C’est clair qu’on aimerait bien pouvoir rediscuter de la date du 15 juin avec les autorités. C’est dommage que nos récoltes soient de moins bonne qualité.»

Mais selon Christophe Pittet, les agriculteu­rs ne s’y sont pas pris assez vite. «Avec la profession, nous avons manqué d’intelligen­ce. Nous aurions dû anticiper la sécheresse en entamant des discussion­s avec l’Etat bien plus tôt.» Si la pluie ne fait pas l’affaire des fourrages, le paysan de Vaux-sur-Morges précise que des précipitat­ions seraient bienvenues pour les céréales. «Avec la situation en Ukraine, j’ai meilleur temps de privilégie­r mes autres cultures.»

Au sein du milieu agricole, tout le monde ne bataille pas pour faire changer les règles. «Il est évident que le fourrage serait de meilleure qualité si on le coupait fin mai plutôt que le 15 juin. En revanche, l’effet sur la biodiversi­té serait moindre», commente Yves Pellaux, agriculteu­r à Pomy et président d’honneur de Prométerre. Selon le citoyen du Jura-Nord vaudois, avancer la récolte des fourrages n’est pas nécessaire et mettrait même en danger une partie de la faune. «Si je prends l’exemple des chevreuils, de nombreuses mères donnent naissance à leur petit dans ces herbes hautes. Les rejetons passent ensuite leurs premières semaines au sein de cet environnem­ent. Mi-juin, nous n’avons plus ces soucis-là.»

Egalement président du Parti bourgeois-démocratiq­ue (PBD), Yves Pellaux tient à préciser la mission qui lui a été confiée par l’Etat. «Nous ne touchons pas des subvention­s. Nous sommes payés pour faire un travail de maintien de la diversité!» En soutenant ces cultures, l’Etat cherche à développer sa faune et sa flore. En grandissan­t jusqu’à maturité, les insectes ont le temps de s’installer et de polliniser les prairies avoisinant­es. «Il ne faut pas croire que ces cultures sont un cadeau de l’Etat. Moi je travaille pour ça et j’essaie continuell­ement de semer de nouvelles espèces de plantes pour rendre la biodiversi­té plus riche», se défend Yves Pellaux, qui abrite plus de 10% de fourrages sur l’ensemble de ses 55 hectares.

«Nous aurions dû anticiper la sécheresse en entamant des discussion­s avec l’Etat bien plus tôt»

CHRISTOPHE PITTET, AGRICULTEU­R À VAUX-SUR-MORGES

Le canton ne cède pas

Conscient de la période de sécheresse actuelle et des motivation­s de certains agriculteu­rs, le canton ne compte pas avancer la date des fauchages pour le moment. «Le fait que l’on nous demande d’avancer la date du 15 juin est un grand classique à cette période de l’année. Mais attention, les paysans doivent comprendre que nous achetons une prestation qui peut engendrer une baisse de la qualité du fourrage. C’est le compromis», estime Frédéric Brand, directeur de l’agricultur­e pour le canton de Vaud.

Par le passé, le canton a déjà fait des concession­s en avançant la date de quelques jours. «Il est encore trop tôt pour en parler. Ce n’est pas parce que les plantes arrivent à maturation que les insectes désertent les champs», assure celui qui est ingénieur agronome de métier. Si la sécheresse s’intensifie, les cantons pourraient octroyer un délai plus rapide aux agriculteu­rs. Mais rien ne devrait être annoncé avant le début du mois de juin. ■

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(GAËTAN BALLY/KEYSTONE) Si la sécheresse s’intensifie, les cantons pourraient avancer la date des fauchages. Mais pour l’heure, la demande formulée par certains agriculteu­rs leur semble prématurée.

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