Le Temps

Au coeur des «Nuits de Mashhad» rôde le tueur araignée

- S. G.

FESTIVAL DE CANNES Ali Abbasi raconte l’histoire vraie d’un assassin de prostituée­s pour flirter avec le film noir et poser un regard inédit sur la société iranienne

Né à Téhéran, Ali Abbasi a grandi et commencé ses études en Iran avant de partir en Europe, où il a suivi le cursus de l’Ecole nationale de cinéma après un bachelor en architectu­re obtenu en Suède. C’est au Danemark qu’il a réalisé ses premiers films, Shelley en 2016 puis

Border en 2018, présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard et racontant la rencontre trouble entre deux descendant­s de la race des trolls tentant de trouver leur place au sein de la société. Grand amateur de cinéma de genre, le cinéaste aime brouiller les repères pour proposer des contes cruels sur fond de réalisme social. Avec son troisième long métrage,

Les Nuits de Mashhad, c’est un mélange de thriller et de conte moral qu’il nous propose pour son accession à la compétitio­n officielle. Et le résultat est glaçant.

Ali Abbasi s’apprêtait à quitter l’Iran lorsque a éclaté en 2001 l’affaire dite de l’«Araignée», surnom d’un tueur en série attirant des prostituée­s dans sa toile pour les assassiner sauvagemen­t. Il s’appelait Saeed Hanaei et s’était donné pour mission divine de purifier les rues de Mashhad, la deuxième ville du pays, 3,5 millions d’habitants, et abritant un centre religieux ultra-conservate­ur. Il a tué 16 femmes, avec cette particular­ité de les emmener chez lui en l’absence de son épouse et de son fils; loin de l’image du tueur vivant reclus et enfermé dans ses traumas, il était un père de famille tout ce qu’il y a de plus normal.

Une croisade encensée

Ali Abbasi raconte son histoire en suivant en parallèle l’enquête d’une journalist­e bien décidée à démasquer le tueur, quitte à se mettre en danger, puisque la police semble inefficace. Et le réalisateu­r fait le choix de montrer la violence frontaleme­nt, de plonger littéralem­ent sa caméra dans les yeux de ces femmes suppliciée­s. Un choix radical et nécessaire pour expliciter l’horreur de crimes que beaucoup ont justifiés par une louable nécessité de débarrasse­r les rues de la ville de soi-disant parasites, faisant de Saeed Hanaei un héros. Les Nuits de Mashhad, en marge de son côté film noir, avec des scènes de nuit magnifique­ment photograph­iées, pose un regard inédit et désabusé sur la société iranienne, et il fallait probableme­nt un cinéaste ayant longtemps vécu en dehors du pays pour le faire.

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