«Derrière la résilience se cache une grande détresse»
Un ouvrage se penche sur le profil des mineurs non accompagnés, entre grande vulnérabilité et capacités d’adaptation exceptionnelles. Entretien avec l’un des auteurs
L’onde de choc provoquée par le suicide de deux requérants d’asile en l’espace de deux mois dépasse les frontières genevoises. L’accompagnement de ces jeunes aux parcours bouleversés est au coeur d’un ouvrage* paru ce mois, auquel ont contribué une trentaine de psychologues, psychiatres, ou encore anthropologues suisses et français, sous la direction de Sydney Gaultier, psychologue associé au sein de l’Unité transculturelle de l’enfant et de l’adolescent du CHUV, qui fait partie de l’équipe mobile chargée de la santé mentale des jeunes migrants dans le canton de Vaud.
La prise en charge des mineurs non accompagnés est-elle adéquate en Suisse? A leur arrivée, ceux qui en ont besoin ne sont pas toujours prêts pour un suivi. C’est aussi lié à une perception négative de la psychiatrie, avec l’idée que les psys, c’est pour les «fous». Il est donc illusoire de penser que les jeunes requérants pourront formuler une demande de soins alors qu’ils ignorent à quoi nous pouvons leur être utile, et comment. Lorsqu’ils nous contactent, c’est en général plus tard. Pour autant, nous ne pouvons pas nous contenter de leur dire: «Viens quand tu as besoin d’aide.» Il faut aller au-devant de la demande. Il est très facile d’ignorer leurs besoins de soins.
Pourquoi? C’est le paradoxe de l’accueil: derrière la résilience des jeunes migrants se cache une grande détresse. Quand nous, en pédopsychiatrie, mettons en garde sur la situation de l’un d’entre eux, il nous arrive fréquemment de provoquer l’étonnement des accompagnants, qui n’ont pas perçu les mêmes difficultés. C’est en général parce que ces jeunes, pressés par l’impératif d’intégration, ont tendance à internaliser les troubles, les rendant invisibles au quotidien. Dans notre ouvrage, nous rappelons ce qui se cache sous leur hypermaturité apparente: oui, ils ont traversé la moitié du monde pour venir ici et font preuve de capacités d’adaptation exceptionnelles. Mais ils ont été séparés de leur famille trop tôt. Et, comme tout enfant séparé, ils gardent aussi des besoins psychoaffectifs insatisfaits.
«Ces jeunes ont tendance à internaliser les troubles»
Identifiez-vous un profil particulièrement à risque? Les mineurs non accompagnés sont la population la plus vulnérable, davantage que les mineurs issus de l’asile accompagnés de leur famille, qui sont déjà très à risques. Mais plutôt qu’un profil, on identifie un moment particulièrement sensible: le passage à l’âge adulte. Avant 18 ans, les requérants d’asile sont très encadrés. Et, dès qu’ils ont franchi la majorité, leur situation change du jour au lendemain et ils se retrouvent davantage livrés à eux-mêmes. C’est souvent là que surviennent des manifestations de grande anxiété, qui peuvent se traduire par de l’agressivité envers soi-même ou les autres, des difficultés scolaires, ou des idées suicidaires, chez des jeunes qui pendant longtemps n’avaient montré aucun signe de détresse. ■
*«Mineurs non accompagnés, repères pour une clinique psychosociale transculturelle», sous la direction de S. Gaultier, A. Yahyaoui et P. Benghozi, Editions In Press, 2023.