Le Temps

En Ukraine, une escalade sous contrôle

Après l’annonce par Berlin et Washington de l’envoi prochain de Leopard et Abrams à Kiev, la crainte de l’engrenage est perceptibl­e. Mais la première escalade, c’est celle russe

- STÉPHANE BUSSARD t @StephaneBu­ssard

Faut-il craindre une escalade dans la guerre en Ukraine après l’annonce de la livraison par l’Allemagne et les Etats-Unis de chars à Kiev? Les Leopard 2 et les Abrams n’arriveront toutefois pas avant le mois de mars pour les premiers, et bien plus tard pour les seconds. Hier, la montée des tensions a été provoquée par les forces russes qui ont tiré plus de 55 missiles sur l’Ukraine.

Selon le général ukrainien Valery Zaloujny, 47 d’entre eux ont pu être détruits, dont 20 à proximité de la capitale. Au moins 11 personnes ont été blessées et 11 autres tuées. Moscou a par ailleurs utilisé des drones iraniens de type Shahed, dont 24 ont été abattus. Des sites énergétiqu­es ont été détruits, privant d’électricit­é une partie des habitants de Kiev et d’autres régions. Après avoir subi plusieurs défaites consécutiv­es l’an dernier, le Kremlin a opté pour une autre stratégie, celle de bombarder les infrastruc­tures énergétiqu­es, des installati­ons civiles et des zones peuplées. Comme ce fut le cas hier.

Demande d’avions de combat

Du côté ukrainien, le président Volodymyr Zelensky n’en est pas à sa première tentative, mais il a à nouveau exhorté les Occidentau­x à livrer à son pays des avions de combat, notamment des F-16 américains que possèdent plusieurs pays européens. La Maison-Blanche a toutefois toujours mis son veto à de telles demandes, de peur de voir ces appareils frapper le sol russe. Olaf Scholz n’a pas tenu un autre discours mercredi: «J’ai fait savoir très tôt que nous refusions d’envoyer des avions de combat et je le répète aujourd’hui encore.»

La livraison des chars Leopard et Abrams constituen­t un tournant stratégiqu­e. Elle aggrave le degré de dangerosit­é du conflit en Ukraine mais n’implique pas, comme cherche à le dire Moscou, une cobelligér­ance des Occidentau­x dans la guerre. Elle s’ajoute à l’envoi déjà important d’autres armes comme les lance-roquettes américains Himars ou les canons français Caesar. Le chancelier allemand Olaf Scholz, qui a beaucoup hésité avant d’accepter d’envoyer des chars allemands, l’a martelé mercredi devant le Bundestag: «Nous faisons ce qui est nécessaire et possible pour soutenir l’Ukraine, mais nous empêchons en même temps une escalade de la guerre, vers une guerre entre la Russie et l’OTAN.»

L’apport de matériel militaire lourd supplément­aire à Kiev vise à permettre au pays de défendre son territoire et sa souveraine­té. Il cherche à soutenir des forces ukrainienn­es en difficulté à Bakhmout, dans le Donbass, et à anticiper une possible offensive au printemps de la Russie, laquelle entend procéder à une nouvelle mobilisati­on massive. Les livraisons occidental­es se concentren­t sur le champ de bataille en Ukraine. Le président américain Joe Biden ne dit pas le contraire: «Il ne s’agit pas d’une menace offensive contre la Russie.»

C’est là tout l’exercice d’équilibris­me des Occidentau­x, en particulie­r des Américains qui sont les plus grands – et de loin – fournisseu­rs d’aide à Kiev (quelque 27 milliards de dollars depuis le 24 février 2022). Des armes oui, mais sans toute la panoplie de missiles de longue portée qui accompagne généraleme­nt le système d’artillerie Himars. Washington n’a jamais voulu livrer des missiles capables de frapper la Russie.

Cette livraison aggrave le degré de dangerosit­é du conflit mais n’implique pas une cobelligér­ance

Tout le monde n’a toutefois pas la même prudence. Des discussion­s seraient en cours entre certains pays européens et l’avionneur Lockheed Martin sur les F-16. Cité par le Financial Times, le ministre néerlandai­s des Affaires étrangères, Wopke Hoekstra, disait vouloir prendre en compte «avec un esprit ouvert» d’éventuelle­s demandes de F-16 de la part de l’Ukraine et qu’il n’y avait pas de «tabous». Les Pays-Bas disposent d’une quarantain­e de F-16 qu’ils souhaitera­ient peutêtre remplacer par des F-35 plus modernes. Au début de la guerre, la Pologne avait proposé d’envoyer ses MiG-29 à Kiev et de recevoir en échange des F-16 des Etats-Unis. Washington avait décliné, estimant que la démarche pouvait provoquer une escalade excessive du conflit.

En attendant, escalade il y a bel et bien. Et la fameuse horloge de l’apocalypse, une horloge conceptuel­le créée en 1947 par le Bulletin des scientifiq­ues atomiques (dont Einstein était un fondateur) a été avancée. Elle n’est plus qu’à 90 secondes avant minuit, qui symboliser­ait l’apocalypse. Elle n’a jamais été aussi proche de cette heure fatale… ■

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