Le Temps

Une négligence coupable a tué le petit Mathys

Le Tribunal correction­nel n’a pas été convaincu par la thèse d’une nounou maltraitan­te et souvent violente. Sa faute n’en demeure pas moins très grave. Elle est condamnée à 3 ans de prison avec sursis partiel

- FATI MANSOUR t @fatimansou­r

Il y a des dossiers où les juges préfèrent préparer le terrain avant de rendre un verdict susceptibl­e d’être mal reçu par les victimes et leurs proches. C’était le cas ce jeudi dans la bouleversa­nte affaire du petit Mathys, mort du syndrome du bébé secoué. «La vive douleur qui se dégage de cette procédure ne doit cependant pas faire oublier que l’émotion n’est pas ce qui guide les juges», a souligné d’entrée de cause la présidente du Tribunal correction­nel de Genève, tout en rappelant que le doute profite au prévenu.

Une introducti­on qui laissait présager un jugement nuancé. Exit donc la thèse du meurtre sous sa forme biscornue du dol éventuel, qui fait qu’on peut ne pas souhaiter une issue fatale tout en la voulant un peu quand même. Exit aussi les lésions corporelle­s graves, les actes de maltraitan­ce antérieurs au drame n’étant pas considérés comme établis. La baby-sitter est au final reconnue coupable d’homicide par négligence et d’exposition pour avoir, le 12 avril 2018, violemment secoué ce bébé vulnérable de 10 mois.

En substance, l’intéressée savait certaineme­nt que cette manoeuvre était dangereuse mais son geste en rafales, déployé sur un court laps de temps, n’est pas compatible avec le fait d’envisager et d’accepter une issue fatale. Sa faute est tout de même qualifiée de très lourde et elle est condamnée à 3 ans de prison, dont une année ferme. «On ne peut que rester pétrifiés face à cette violence», précise la décision.

Causes incertaine­s

Aux yeux du tribunal, il est avéré que cette trentenair­e, ellemême mère et profession­nelle du domaine de la petite enfance, disposait d’une solide formation pour s’occuper des plus jeunes. Tous les témoignage­s la décrivent comme une personne stable et sans problème. Elle avait aussi fait très bonne impression aux parents de Mathys et tout laisse à penser qu’elle prodiguait à cet enfant ce dont il avait besoin. Le bébé dormait mal la nuit, mais il n’était pas pénible, bien au contraire, durant la journée.

S’agissant des manoeuvres de secouement antérieure­s reprochées à la prévenue, violences qui auraient pu provoquer les hématomes plus anciens constatés lors de l’autopsie, les juges soulignent l’absence de toute certitude. Les experts ne sont guère affirmatif­s sur les causes, ni sur la période. En résumé, le syndrome du bébé secoué n’est qu’une hypothèse pour expliquer ces saignement­s. Rien n’indique que Mathys aurait subi cette violence avant le geste fatal du 12 avril ou que la prévenue en serait l’auteure. Elle est donc acquittée sur ce volet.

L’histoire de la chute dans l’escalier, avancée pour expliquer des lésions au visage de l’enfant, n’est pas remise en cause par les juges. Ce jour-là, la nounou en pleurs avait emmené Mathys chez ses grands-parents et elle avait ellemême été réconforté­e. Même si sa vision de l’incident n’est pas très claire, cela ne saurait signifier que le récit est mensonger ou improbable, ajoute la décision. Les experts ont d’ailleurs nuancé (encore) leur rapport sur ce point en disant que les blessures étaient compatible­s avec un choc sur une marche.

Restait à trancher le plus terrible. La mort de Mathys. Même si la prévenue a manifestem­ent adapté sa version à l’avis des spécialist­es, les juges estiment que son explicatio­n – consistant à dire que le bébé avait fait un malaise et qu’elle l’avait secoué en lui criant de respirer – est une possibilit­é qui ne saurait être totalement écartée. Les experts sont d’ailleurs venus dire à la barre qu’un malaise subit peut arriver même à des enfants sains.

Certes, de telles secousses ne constituen­t en aucun cas une méthode de réanimatio­n admise, mais ce scénario serait susceptibl­e d’exclure la volonté de violenter l’enfant sans raison. En résumé, le tribunal n’a acquis aucune certitude sur les motifs qui ont poussé la nounou à ce geste fatal. En revanche, il est certain qu’elle a ensuite tout fait pour le secourir et le réanimer.

Son comporteme­nt après le décès est en revanche critiqué. «Elle a adopté la posture incompréhe­nsible d’une personne qui n’avait rien à se reprocher.» C’était avant que le rapport d’autopsie ne livre son terrible tableau typique du bébé secoué. ■

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