Le bus scolaire, casse-tête de la garde partagée
Le cas d’un père obligé de payer l’abonnement de transports publics pour le trajet de sa fille jusqu’à l’école illustre les multiples difficultés de ce modèle familial
Trois jours par semaine, Lena*, 7 ans, monte dans le bus avec ses camarades de classe, pour se rendre de Montcherand, petite commune vaudoise où habite son père, à Orbe où elle est scolarisée. Elle est la seule à payer son abonnement de transports publics, pourtant gratuit pour les autres élèves. La raison? Son domicile légal – elle ne peut en avoir qu’un – est situé à Orbe, chez sa mère, où elle passe l’autre partie de sa semaine. Ce cas pourrait être anecdotique s’il n’illustrait pas le retard administratif et juridique autour de la garde partagée des enfants en cas de séparation.
«Nul, en Suisse, ne peut avoir plusieurs domiciles»
La Commission fédérale pour les questions familiales, la COFF, a mené une vaste discussion en décembre sur les obstacles rencontrés par les parents séparés qui ont choisi un mode de vie «multilocal» pour leur enfant. Entendez: l’enfant vit régulièrement chez les deux parents. «La COFF s’empare de cette question, car la garde partagée est une option de plus en plus utilisée par les parents. La société évolue dans ce sens, mais les normes stagnent», souligne Nadine Hoch, responsable du secrétariat de la COFF. Ces difficultés se cristallisent autour du fait que nul en Suisse, y compris l’enfant d’un couple séparé, ne peut avoir plusieurs domiciles.
«Le fait que l’enfant ne peut avoir qu’un seul domicile officiel pénalise l’autre parent au niveau des déductions fiscales, des frais de garde ou des réductions de primes d’assurance. Les pratiques ne sont souvent pas adaptées aux réalités des familles», illustre le rapport de la COFF.
Le constat est partagé par Denis, le père de Lena. Cela fait plus d’une année qu’il tente en vain d’obtenir auprès de l’Association scolaire intercommunale d’Orbe et région, l’Asior, un abonnement gratuit de transports publics auquel aurait droit sa fille, dont il a la garde partagée, si le domicile de l’enfant se situait chez lui, dans la commune de Montcherand. «Tous les règlements se basent encore sur la pratique qui veut qu’un parent obtienne la garde, et l’autre un droit de visite. Les normes évoluent malheureusement plus lentement que la société», commente Patrick Robinson, porte-parole de la Coordination romande des organisations paternelles. Il milite pour que le parent chez qui l’enfant n’est pas légalement domicilié soit mieux reconnu auprès des administrations locales.
«L’Asior a rappelé que seul le transport du domicile légal vers l’école est pris en charge», souligne François Vallotton, membre du comité de direction de l’Association intercommunale d’Orbe et région. «Le règlement de l’Asior se base sur la législation cantonale. C’est aux parents de décider d’un lieu de domicile unique pour leur enfant, auquel l’association intercommunale peut se référer. Dans ce cas précis, les parents ne souhaitent pas que Montcherand soit considérée comme le lieu de domicile de leur fille», explique Myriam Schertenleib, présidente du comité de l’Asior.
Le canton va également dans ce sens. «Les communes prennent en considération le domicile légal de l’enfant afin de déterminer si la distance entre le lieu de domicile et l’école justifie la mise en place d’un transport scolaire, respectivement la prise en charge des frais», écrit-il au père. «Le mode d’encadrement, notamment l’aménagement de la garde de fait – à savoir le lieu où l’enfant réside et pour quelle période – est sans pertinence pour cet examen.»
Des incohérences communes
Une solution serait d’offrir les transports gratuits à tous les enfants scolarisés dans la région couverte par l’association scolaire intercommunale. Un choix effectué par exemple dans l’arrondissement de Grandson. La Commission fédérale pour les questions familiales a formulé plusieurs recommandations en décembre pour faciliter la vie des familles «multilocales». Elle demande au législateur de mieux prendre en compte leurs besoins, en faisant justement évoluer les normes. «Ces incohérences sont communes. A défaut de permettre l’inscription de deux domiciles légaux, il faut que le législateur – de l’échelle communale à l’échelle nationale –ainsi que les écoles et les structures d’accueil prennent mieux en compte la responsabilité partagée des parents dans leurs règlements», commente Nadine Hoch, responsable du secrétariat de la commission fédérale. ■