Le Temps

Collection­ner, à la fois une tradition familiale et une activité intime

Thierry Barbier-Mueller, qui vient de disparaîtr­e, en collection­neur discret, a peu exposé ses acquisitio­ns. Exception faite de ses chaises que l’on peut voir encore au Mudac à Lausanne

- ÉLÉONORE SULSER @eleonoresu­lser A Chair and You, Mudac, Lausanne, jusqu’au 26 février 2023.

Elles sont encore au Mudac, à Lausanne, jusqu’à la fin du mois de février à l’enseigne de A Chair and You: ces chaises de toutes formes et de tous matériaux, souvent pleines d’humour et d’esprit, tantôt paradant, tantôt s’envolant, tantôt tourbillon­nant sur elles-mêmes. Des chaises drôles, superbes, fragiles, sculptural­es, sages ou pas sages, mises en scène par Bob Wilson, et qui dansent tout autour du musée.

Les chaises sont là, mais celui qui les a rassemblée­s au fil des années jusqu’à en remplir un entrepôt n’est plus: Thierry Barbier-Mueller, collection­neur de chaises mais aussi et avant tout d’art contempora­in est décédé mardi 24 janvier.

«Ce qui comptait vraiment pour lui, c’était l’art»

Lorette Coen, journalist­e, essayiste et curatrice, amie de la famille a fait le portrait de Thierry Barbier-Mueller en collection­neur dans L’Esprit de la chaise (Lars Müller Publishers), ouvrage qui fait le catalogue de ses sièges insolites et précieux. «Les chaises, c’était sans doute, beaucoup moins important pour Thierry Barbier-Mueller que sa collection d’art. Il avait du plaisir à les collection­ner, ça l’amusait. Il cherchait, on lui en proposait. Mais ce qui comptait vraiment pour lui, c’était l’art», dit Lorette Coen qui a eu la chance de visiter les dépôts où Thierry Barbier-Mueller conservait ses acquisitio­ns: des lieux où les oeuvres étaient sécurisées, conservées, choyées mais où l’on pouvait aussi les admirer, lorsqu’on y était invité. «Il avait un certain goût pour les paysages mélancoliq­ues, lacustres, note Lorette Coen. Il aimait aussi les vanités.» Il s’entourait d’oeuvres du peintre zurichois Uwe Wittwer; le peintre russe Erik Bulatov, l’artiste allemand Günther Förg avaient ses faveurs. Il partageait, avec sa mère Monique, collection­neuse particuliè­rement avisée, un goût pour l’oeuvre lumineuse et tranquille de Silvia Bächli.

Collection­ner est une affaire de famille.

Dans la préface de L’Esprit de la chaise, Marie Barbier-Mueller, sa fille, rappelle que la grand-tante de Thierry Barbier-Mueller avait acquis en 1908 le Portrait du surveillan­t en chef de l’hôpital Saint-Paul (Trabuc) de Vincent van Gogh

«Tant le lien aux oeuvres et l’acte de collection­ner me paraissent nécessaire­ment relever de l’intime et du mystère» THIERRY BARBIER-MUELLER

et que sa mère, Monique, fut séduite par une oeuvre de Jeff Koons, Woman in Tub. Thierry Barbier-Mueller lui-même rappelle, dans le même ouvrage, la devise de sa famille de collection­neurs, énoncée par son grand-père Joseph Mueller (1887-1977): «suivre l’art comme une étoile». Il raconte son premier choc dans les années 1980 devant un aigle de Baselitz daté de 1978. Pour autant, il ne s’agissait pas de marquer l’histoire de l’art en constituan­t un fonds: «J’accepte l’idée, qu’après ma mort, ma collection soit très naturellem­ent dispersée. Cela ne me concerne plus», expliquait-il à Lorette Coen.

Un «collection­neur de placard»

Il se définissai­t lui-même comme un «collection­neur de placard», «tant le lien, écrivait-il, aux oeuvres et l’acte de collection­ner me paraissent nécessaire­ment relever de l’intime et du mystère. Et tant je crains les bavards, les mondains qui n’épargnent évidemment pas le monde de l’art.» D’où l’événement qu’a constitué, et que constitue encore, l’exposition A Chair and You.■

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