Le Temps

Comment profiter de la pénurie de personnel

Certains profession­nels sont très demandés en Suisse. De quoi créer des opportunit­és pour les jeunes qui cherchent une voie. Mais attention, toutes les pénuries ne durent pas, préviennen­t les experts

- JULIE EIGENMANN @JulieEigen­mann

A la sortie de l’école et au moment de choisir une formation, certains jeunes sont guidés par une passion et l’image qu’ils se font d’un métier. Dans d’autres cas, ils n’ont peu, voire pas d’idée de ce qu’ils veulent faire. Alors, sachant que la pénurie fait rage dans certains secteurs, devraienti­ls s’intéresser aux métiers très recherchés aujourd’hui et qui promettent de l’être demain?

La réponse est plus compliquée qu’elle n’en a l’air. Pour rappel, une pénurie de personnel qualifié désigne le moment où il y a plus de postes à pourvoir que de demandeurs d’emploi dans une profession. Chez Michael Page, agence de placement par spécialité, on recense notamment les métiers pour lesquels il y a le plus d’emplois publiés. De fin 2021 à fin 2022, il s’agit des commerçant­s et spécialist­es de la constructi­on, des managers et administra­teurs d’entreprise, des spécialist­es en informatiq­ue, des spécialist­es en vente et des spécialist­es de l’assemblage et de la production. Mais ces fortes hausses ne disent rien des années à venir, prévient Yannick Coulange, directeur général de PageGroup en Suisse. «Certains secteurs, comme l’hôtellerie-restaurati­on, ont montré un pic dans les recrutemen­ts, mais cela s’explique notamment par un phénomène de reprise à la suite de l’arrêt du secteur pendant la pandémie. Dans d’autres métiers actuelleme­nt très recherchés, dans la vente par exemple, la demande varie en fonction de la conjonctur­e et peut chuter.»

Experts en durabilité recherchés

Dans d’autres profession­s, la pénurie est partie pour durer, précise Yannick Coulange. «Dans l’informatiq­ue, les technologi­es ainsi que les nouveaux métiers d’expert autour de la durabilité, pour lesquels on manque de gens formés, la demande devrait continuer d’aller en augmentant.»

Dans ce sens, le CFC de développeu­r de business numérique vient d’être créé parmi d’autres nouveaux métiers, a annoncé à la mi-janvier le Secrétaria­t d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation. On peut aussi mentionner le premier CFC et l’attestatio­n fédérale de formation profession­nelle (AFP) d’installate­ur solaire dès la rentrée 2024-2025.

Du côté d’Adecco, l’indice de pénurie de main-d’oeuvre 2022 montre que les profession­nels les plus demandés sont les profession­els de la santé, les développeu­rs de logiciels et applicatio­ns informatiq­ues, les profession­nels de l’ingénierie, les conducteur­s de travaux, contremaît­res et responsabl­es de production, les polymécani­ciens, mécanicien­s de production et de machines et les machiniste­s. Mais une porte-parole du spécialist­e du placement précise: «Nous ne pouvons pas faire de prédiction­s sur l’évolution du classement des profession­s particuliè­rement recherchée­s. Toutefois, si l’on compare les classement­s des pénuries de main-d’oeuvre des dernières années, on constate que les catégories profession­nelles de la santé et de l’informatiq­ue faisaient partie du top 10 des catégories profession­nelles recherchée­s.»

En effet, si rien n’est fait, environ 40000 informatic­iens manqueront à l’appel d’ici à 2030, d’après ICT-Formation profession­nelle Suisse. C’est principale­ment pour répondre à cette demande qu’a ouvert l’Ecole 42 Lausanne, qui a accueilli sa première volée en 2021. A l’EPFL, où l’on forme notamment des informatic­iens et des ingénieurs, Sabrina Rami Shojaei, cheffe du service de promotion de l’éducation, souligne la nécessité que les formations soient en permanence adaptées à l’évolution des métiers.

«En matière de pénurie, il faut différenci­er les profession­s délaissées pour des questions de conditions de travail ou de salaire des nouveaux métiers, pour lesquels il y a une augmentati­on des besoins mais un réservoir de personnes compétente­s encore limité, note Sabrina Rami Shojaei. Des études comme celles que propose l’EPFL sont très exigeantes, la motivation doit être la première raison de choisir une voie. Mais je ne pense pas que des jeunes risquent de s’engager seulement en vue du grand nombre de débouchés. Ils le font parce que le domaine du numérique, par exemple, leur parle.»

Yannick Coulange insiste aussi sur la question des préférence­s: «Il faut qu’un jeune s’oriente vers un métier qu’il va pouvoir exercer avec passion. Pour ceux qui ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent faire, il me semble mieux de rester généralist­e dans la formation que de choisir par défaut un cursus très spécialisé pour lequel ils ont peu d’intérêt, dans un seul objectif de sérénité financière et de sécurité de l’emploi.»

Un autre secteur pour lequel le manque de personnel devrait s’aggraver est celui de la santé. D’ici à 2040, il manquera près de 40000 infirmière­s et infirmiers et 5500 médecins, a calculé le cabinet de conseil PwC.

A la Haute Ecole Arc Santé Neuchâtel Jura Berne, qui forme notamment en soins infirmiers, on atteste que «se tourner vers ces métiers est une garantie d’employabil­ité, avec aujourd’hui la possibilit­é de choisir sa spécialité, en chirurgie ou pédiatrie par exemple, au vu de la forte demande de profession­nels, note Anne-Françoise Loup, sa directrice. Mais pour intéresser de potentiels étudiants et étudiantes, on met surtout l’accent sur la responsabi­lité, l’autonomie et l’aspect à la fois technique et humain du métier.»

D’autres métiers sont peu connus et pourtant listés dans l’indice de pénurie de main-d’oeuvre 2022 d’Adecco: les polymécani­ciens, qui programmen­t, pilotent et assurent la maintenanc­e de machines à commandes numériques (CFC en quatre ans), et les mécanicien­s de production (CFC en trois ans), qui font du dessin technique, fabriquent des pièces et s’occupent aussi de maintenanc­e.

La demande de ces profession­nels n’est pas près de ralentir. La raison? «Ces métiers sont nécessaire­s dans beaucoup de secteurs d’activité différents, détaille Olivier Falquet, directeur de l’Ecole de mécatroniq­ue industriel­le à Genève. «Certains travaillen­t dans le domaine des transports en commun, de l’aviation, d’autres dans l’industrie, l’horlogerie, les hôpitaux ou encore le service aprèsvente. Et l’entretien et la maintenanc­e du matériel seront toujours nécessaire­s.»

Des arguments que le Centre de formation profession­nelle technique mettra en avant lors de ses portes ouvertes ce samedi à Genève.

«Il faut évidemment que les jeunes soient intéressés et pas simplement poussés par les parents, atteste Olivier Falquet. Mais c’est vrai que nos apprentis s’aperçoiven­t très vite que les entreprise­s ont besoin d’eux et qu’ils peuvent déjà décrocher une place de travail alors qu’ils sont en stage. C’est motivant.»■

« La motivation doit être la première raison de choisir une voie»

SABRINA RAMI SHOJAEI, CHEFFE DU SERVICE DE PROMOTION DE L’ÉDUCATION DE L’EPFL

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(OLESHKO ARTEM/ADOBESTOCK) Si rien n’est fait, environ 40 000 informatic­iens manqueront à l’appel d’ici à 2030, d’après ICT-Formation profession­nelle Suisse.

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