Le Temps

Formons notre société au pouvoir de la bienveilla­nce

- LUCIANA VACCARO RECTRICE DE LA HAUTE ÉCOLE SPÉCIALISÉ­E DE SUISSE OCCIDENTAL­E

La pause qui marque la fin d’une année et le début d’une nouvelle est un instant propice à la réflexion. Passé l’excitation qui précède Noël, les quelques jours où tout s’arrête nouslaisse­nt la possibilit­é de nous poser face à nousmêmes, et pour peu qu’on y mette suffisamme­nt de sincérité, nous permettent ce nécessaire et bénéfique exercice d’introspect­ion.

J’en sors avec une conviction qui s’est dessinée depuis quelque temps et qui, désormais,me tient lieu de doctrine, dans ma vie personnell­e comme dans mes activités profession­nelles. Cette conviction se résume en une expression, qui m’est venue dans ma langue natale, l’italien: «Il potere della gentilezza». Le pouvoir de la bienveilla­nce. Je suis intimement convaincue que cette posture positive facilite les relations humaines, et particuliè­rement les relations de pouvoir. Evidence? Pas tant que cela.

Mon parcours est celui d’une jeune femme combative, qui s’est construite une carapace faite d’exigence voire d’intransige­ance, envers soi-même et les autres. Mais plus j’ai avancé dans ma vie, et dans les postes successifs où j’ai pu exercer mes capacités, plus j’ai apprécié à sa juste valeur ce que la Suisse m’a appris. La qualité du dialogue, la nécessité du consensus,la valeur du respect. Et le pouvoir de la bienveilla­nce.

J’ai notamment compris ce qui me paraît fondamenta­l: la bienveilla­nce – ou la gentilless­e, ce mot que l’usage a fini par travestir – ne signifie aucune mollesse, aucun renoncemen­t,aucune compromiss­ion. Elle permet de rester ferme sur ses valeurs, et sur ses décisions. Mais elle rend les situations difficiles moins sévères, moins dures à avaler. Surtout lorsqu’on détient une part de pouvoir sur les autres.

Je le prends pour moi aussi. Il m’est arrivé de mal traiter autrui, de mal répondre. Je le regrette. Jadis, je pouvais m’énerver contre une personne qui se trompait et la réprimande­r. Aujourd’hui, je m’efforce d’expliquer pourquoi cette erreur me met en difficulté, et comment nous pouvons éviter qu’elle se reproduise. C’est plus responsabi­lisant, me semble-t-il.

L’actualité récente, en Suisse et ailleurs (notamment en Italie, où je conserve de fortes attaches), nous a montré à quel point la maltraitan­ce, dans le domaine sportif, scolaire ou éducatif, a fait des dégâts psychologi­ques et physiques incommensu­rables. Il fut un tempsoù ces types de comporteme­nts étaient tolérés, ou même acceptés, parce qu’ils étaient soi-disant le prix à payer pour atteindre le succès ou l’excellence. Les temps ont changé. Le curseur s’est déplacé, le succès a d’autres facettes. Surtout, le succès ne prime pas sur le respect de l’intégrité d’autrui. Tant mieux.

Maintenant, il nous faut passer à l’étape suivante. De la dénonciati­on nécessaire des abus,qui doit se poursuivre, passons à la promotion active et organisée de la bienveilla­nce. Soyons cette génération qui aura amené la transition, qui aura vécu les reliquats d’une société où l’on confondait la persuasion avec la violence, l’éducation et la formation avec le dressage, et qui aura su ne pas les reproduire mais fonder un nouveau pacte de transmissi­on des connaissan­ces et des décisions.

Je suis intimement persuadée que cette approche donne de meilleurs résultats, et de meilleures personnes. C’est la philosophi­e qui nous guide au sein de la HES-SO, et il est normal que les milieux de l’enseigneme­nt, des classes enfantines aux hautes écoles, soient le moteur de cette révolution. Une révolution qui formera des profession­nels meilleurs, mais surtout des citoyens meilleurs. Une révolution douce et ferme, résolue et engageante, porteuse d’espoir.

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