Décortiquer la campagne de l’UDC contre le «wokisme»
Il est sans doute trop facile, pour un parti devenu expert en détournement stratégique et enfumage politique, de crier au loup en extorquant toute légitimité à des décennies de recherches et, ce faisant, en créant une nouvelle réalité dénuée de toute objectivité. L’UDC a révélé son programme fédéral il y a peu, s’attaquant ouvertement «au wokisme». Le wokisme, c’est une arme politique et conceptuelle bien aiguisée, inventée de toutes pièces par la droite conservatrice à l’aide d’un récit médiatique diabolisant toute personne remettant en cause l’ordre social. Ce sont des discours qui diabolisent toute personne reconnaissant le caractère systémique des violences dans notre société.
Que ce soit dans les discours médiatiques comme politiques, on entend beaucoup trop les personnes défendant les idées que le wokisme soi-disant dénonce, et curieusement presque jamais les personnes concernées. Sans trop de surprise puisque l’arène politique suisse n’a pas encore vu l’élection à un poste clé d’une personne trans, queer ou non binaire. N’est-elle pas encore prête? En tout cas la société, elle, l’est. J’ai donc décidé de prendre ma plume et d’expliquer, avec mes mots et pas ceux que l’on aimerait me voler, pourquoi une telle pratique est violente, mais aussi néfaste. Décortiquons l’enfumage.
Tout d’abord, il n’y a tristement rien de nouveau à peindre les personnes appartenant aux populations marginalisées comme une menace à l’ordre établi, à la cohésion sociale, surtout en période d’instabilité politique et économique. Pratique ancestrale de partis qui ne construisent leur agenda politique que sur la peur, elle a comme fer de lance l’idée que donner des droits à certaines et certains en enlève à d’autres; que reconnaître les droits fondamentaux de populations jusqu’alors laissées-pour-compte muselle les personnes qui en jouissent déjà. Ce que ces discours haineux oublient, c’est qu’il s’agit simplement de réparer une inégalité de traitement. En définitive, il s’agit tout bonnement de donner l’opportunité à des personnes de vivre leurs réalités et leurs trajectoires de vie en toute sécurité et intégrité, sans que la nôtre n’en soit nullement altérée.
Sous le couvert de la défense des libertés fondamentales, l’UDC nous annonce vouloir supprimer les bureaux de l’égalité. Ces derniers ont été créés sur la base de l’article 8 de la Constitution suisse qui, depuis 1981, garantit l’égalité de tous les êtres humains devant la loi; il ne s’agit donc pas du tout d’un «acte terroriste du wokisme» mais d’un droit fondamental. Mépriser l’existence même d’autres êtres humains dont nous ne partageons pas la réalité ne relève pas de la liberté d’expression, cela devient en revanche une violation de la liberté d’être, une question de santé publique mais aussi de droits humains. Ensuite, en réponse à l’idée que les «militants woke usent de violence et profitent abondamment de l’argent public», ce même parti s’attaque aux départements des études genre des universités. Or, c’est à la liberté de l’enseignement et de la recherche, inscrite à l’article 20 du même texte, que leur idéologie s’attaque ici. Car bien que les porte-parole de l’UDC veuillent nous faire croire que la protection de l’intégrité physique et morale des personnes marginalisées relève de l’idéologie, ils feraient mieux de juger leurs propres discours haineux à l’aune de cette théorie.
De quel côté est donc la violence? Du côté de celles et ceux qui s’engagent à défendre les droits fondamentaux de tous les êtres humains constituant notre société, ou de celui de celles et ceux qui considèrent ces droits comme un privilège et désirent en priver une strate entière de la population, quelle qu’en soit la taille? Une question plus essentielle serait celle qui se demande qui le droit et la justice protègent, et quelles sont les mesures pour rectifier le tir. Ce qui est certain, c’est que la désinformation autour de questions sociétales visant directement certaines communautés est aujourd’hui très grave, tout comme le fait d’instaurer un climat politique de haine et de peur. Le fossé entre les personnes qu’on targue d’être woke et celles qui les accusent n’a jamais été aussi grand. Et pourtant, s’il fallait faire un choix, il me paraît clair qu’une société qui prône l’écoute, le respect, le partage et la remise en question est préférable à bien des égards. On ne fait que demander l’équité, c’est-à-dire une protection et une reconnaissance légale, historique et sociale, rien de plus. ■
La désinformation autour de questions sociétales visant directement certaines communautés est aujourd’hui très grave