Au Tessin, les élections cantonales font exploser tous les records
Un grand nombre de listes mineures ont été lancées en vue du scrutin du 2 avril. Un élément surprend: les femmes représentent 40% des candidatures
Neuf cent vingt-quatre. C’est le nombre de candidatures aux élections cantonales tessinoises du 2 avril. Un record: cela fait 190 noms de plus qu’en 2019, année du précédent record, et 300 de plus qu’en 2015. «Je crois qu’en Suisse, il n’y a jamais eu autant de candidats pour le nombre de places à pourvoir; plus de neuf aspirants députés par siège», commente Oscar Mazzoleni, directeur de l’Observatoire de la vie politique régionale de l’Université de Lausanne.
Sur les 14 listes (contre 16 en 2019), huit ont soumis 90 noms pour le Grand Conseil, soit le nombre de sièges total du parlement. Parmi celles-ci, deux formations viennent à peine d’être créées: Avanti, née de la dissidence d’une aspirante candidate socialiste au Conseil d’Etat, et HelvEtica, représentant notamment les antivax. «Ceci n’est pas banal au Tessin où habituellement, les listes minoritaires peinent à rassembler des candidatures», constate Oscar Mazzoleni. Sur des thèmes d’actualité, notamment liés au marché du travail et aux mesures adoptées durant la pandémie, des personnalités qui n’ont pas forcément une expérience au parlement ont lancé des listes, avec un succès étonnant, observe le politologue.
Partis historiques à la baisse
Cela s’explique par le contexte socioéconomique général et l’affaiblissement des partis historiques et de la Ligue des Tessinois, qui ont vu leur importance au sein du Grand Conseil s’effriter ces dernières années, soutient-il. «Cette capacité des listes mineures à réunir des candidatures doit être perçue par les partis au gouvernement comme un signal fort: ces nouvelles listes peuvent devenir des adversaires redoutables.»
La fragmentation du parlement, «déjà en cours depuis quelques législatures», risque donc de s’accentuer, indique Oscar Mazzoleni. «Ce qui pose problème dans la mesure où les réformes du gouvernement se concrétisent difficilement. Il n’y a pas de convergence sur de grands thèmes de l’agenda politique, par exemple la réforme scolaire, et ceux-ci traînent pendant des années sans que des solutions soient trouvées.»
Maître d’enseignement et de recherche à l’Institut d’études politiques (IEP) de l’Université de Lausanne, Andrea Pilotti confirme l’effet surprise, après deux ans de pandémie. On aurait pu s’attendre à un désintérêt et à une méfiance envers les institutions, avance-t-il. «Le mouvement HelvEtica, nouvellement formé, constitué de personnes très critiques par rapport aux décisions des autorités pendant la pandémie, donne une voix à un électorat qui, autrement, se serait peut-être abstenu de voter. Je trouve cela intéressant.»
Parlement fragmenté
Quant au risque de se retrouver avec un parlement encore plus fragmenté, il fait valoir que neuf forces politiques cohabitent déjà au Grand Conseil: «C’est un effet connu du scrutin proportionnel, un système «accoucheur» de partis politiques.» Il rappelle que jusqu’en 2011, pour atteindre la majorité au parlement et faire accepter un projet, il suffisait que le PDC et le PLR se mettent d’accord. Depuis 2011, ces deux partis doivent souvent s’entendre avec la Ligue des Tessinois.
«Une fragmentation plus importante encore contraindrait les acteurs politiques à faire preuve d’une plus grande capacité à trouver des compromis», avertit-il. Un défi d’autant plus colossal si les forces sont dispersées sur l’échiquier politique. La différence avec
Genève, où il y a aussi le risque de fragmentation lors des élections cantonales d’avril – mais à droite, alors qu’au Tessin, il est à gauche –, est que pour accéder au Grand Conseil genevois, les partis doivent atteindre le seuil de 7% des voix (le quorum), pour éviter que des formations trop minoritaires y entrent, souligne-t-il. Ce qui n’est pas le cas au Tessin.
Signes favorables aux femmes
Autre surprise des listes tessinoises: les femmes représentent 40% (372) des candidatures. A elle seule, la formation Più Donne («plus de femmes»), qui s’était illustrée en 2019 avec l’obtention de deux sièges, présente 56 candidates au Grand Conseil. Depuis 2003, le nombre de candidates est en hausse. Mais c’est surtout en 2019 qu’elles ont connu un essor sensible, avec un nombre d’élues record: 31 sur 90. Cette année, on peut attribuer le plus grand nombre de candidates à l’investissement des associations féminines, estime Andrea Pilotti, et à l’initiative «Helvetia vous appelle!», adoptée ailleurs en Suisse lors des élections fédérales de 2019 et offrant des outils pour aider à communiquer, manier les réseaux sociaux, etc. «Il faudra voir si les femmes sont élues, mais les prémisses sont favorables pour combler le retard du Tessin en matière de parité de genre en politique», conclut-il.
Pour l’instant, le seul pronostic, largement partagé, que posent les deux politologues est que les membres sortants du gouvernement actuel devraient être réélus – à moins que l’UDC parvienne à occuper l’un des deux sièges de la Lega. Le socialiste Manuele Bertoli, qui a annoncé son départ, a de grandes chances d’être remplacé par la conseillère aux Etats Marina Carobbio. Elle deviendra ainsi la quatrième conseillère d’Etat tessinoise.
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