Genève et Bâle sur la piste des multinationales responsables
Après avoir échoué de justesse en votation populaire, la coalition d’ONG prépare une offensive dans certains cantons, dont Genève et Bâle-Ville, lieux de concentration de grandes entreprises internationales
Sur le front des entreprises multinationales, l’Union européenne avance: ses instances dirigeantes planchent sur une réglementation plus serrée, permettant de sanctionner les violations des droits humains ou environnementaux. La Suisse, elle, observe. Sa population a refusé de justesse en 2020 une initiative populaire désirant renforcer la législation, et depuis lors, le Conseil fédéral suit les travaux européens. Un jour ou l’autre, il s’agira d’accorder les violons. Mais pas tout de suite: sur demande de l’ancienne ministre responsable Karin Keller-Sutter, farouchement opposée à l’initiative, le Conseil fédéral a annoncé un avant-projet de loi d’ici à juillet 2024 au plus tard.
Ce calendrier ne satisfait pas la Coalition pour des multinationales responsables, à l’origine de l’initiative populaire. Ce regroupement d’organisations caritatives et de la société civile continue de s’activer. Avec des alliés, il projette des initiatives cantonales sur la responsabilité des multinationales. Les textes, destinés à être soumis en votation populaire, sont actuellement à l’étude dans plusieurs cantons, dont Genève et Bâle-Ville.
«Cela revient presque à ne rien faire»
Ses partisans invoquent l’évolution internationale, dont celle de l’UE, et ne se contentent pas de la réglementation helvétique. Celle-ci ne prévoit aucun recours aux tribunaux pour les violations présumées. Complétée dans le sillage de la votation populaire de 2020, elle étend les devoirs de diligence et prie les entreprises de rédiger des rapports sur les risques de leurs activités en matière de droits humains et environnementaux, ainsi que sur le travail des enfants et les minerais ou métaux provenant des zones de conflit.
Au bout du lac, Delphine Bachmann trouve que cela «revient presque à ne rien faire». La députée centriste considère qu’il faut agir. «Avant la votation, le sujet a énormément passionné, et ce, au-delà des frontières partisanes. Il n’est pas clos et préoccupe encore les citoyens. L’UE prend des mesures en ce sens: on ne peut pas faire cavalier seul.»
Vice-président des vert’libéraux genevois, Aurélien Barakat appuie ce propos, insistant sur la direction prise par l’UE. «Il est primordial pour les entreprises basées en Suisse de disposer des mêmes cartes que leurs concurrentes à l’étranger.» L’écologiste David Hiler, ancien conseiller d’Etat chargé des Finances, relève, lui, que «si on accorde des conditions-cadres favorables à nos entreprises, alors on a aussi le droit de se montrer sélectif. Le fait est que certaines d’entre elles ont des comportements problématiques hors de Suisse, en porte-àfaux avec nos valeurs et nos lois.»
Ces initiatives sont-elles utiles?
«L’UE prend des mesures en ce sens: on ne peut pas faire cavalier seul» DELPHINE BACHMANN, DÉPUTÉE GENEVOISE, PARTI DÉMOCRATE-CHRÉTIEN
Le texte en préparation à Genève s’adresserait aux grandes sociétés basées dans le canton, dénombrant plus de 250 employés, 20 millions de bilan et 40 millions de chiffre d’affaires. Il exigerait qu’elles respectent les droits humains et normes environnementales internationalement reconnus. L’obligation s’étendrait à la chaîne de valeur (aux fournisseurs par exemple). Une institution cantonale «indépendante» se chargerait de la surveillance et des sanctions.
Reste la question de l’utilité des démarches cantonales: servent-elles à quelque chose si la Confédération ne change pas son cadre légal? Membre du comité de la Coalition pour des multinationales responsables, et conseillère politique à l’Entraide protestante suisse, Chantal Peyer y croit. «Nous avons déjà vu que dans les lois sur les marchés publics, et le débat sur l’intégration des critères de durabilité, des cantons ont mis en place des politiques novatrices qui ont ensuite influé sur le résultat national.»
Aucun de nos interlocuteurs ne craint que les multinationales déménagent en masse dans des cantons aux règles plus souples. Ils pensent au contraire que les autres cantons suivront, et que les initiatives cantonales mettront la Berne fédérale sous pression. Le parlement pourrait d’ailleurs, sur proposition de la vert’libérale Corina Gredig (ZH), ajouter dans le droit fédéral le travail forcé dans les domaines touchés par le devoir de diligence.
En face, les opposants contactés préfèrent pour l’heure attendre la publication des textes d’initiative avant de se prononcer. L’un d’eux, membre d’une faîtière économique, nous fait tout de même part de son scepticisme quant à la construction juridique entre droit cantonal et fédéral. Plus que jamais: affaire à suivre.
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